Repenser le journalisme à l’ère de la « post-vérité »

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Beyrouth a accueilli samedi dernier la 24e édition annuelle de la Conférence permanente de l'audiovisuel méditerranéen (COPEAM).

La guerre en Syrie et la crise des réfugiés, les fake news et les images truquées... La région méditerranéenne traverse des problématiques communes qu'aucune politique européenne ou méditerranéenne n'arrive à saisir entièrement. Les médias traditionnels, principaux acteurs de la diffusion de l'information, doivent prendre le problème à bras-le-corps. À l'heure des réseaux sociaux et de la multiplication des sources d'informations, ils sont plus que jamais essentiels à la vérification des sources, et à la production de contenus vérifiés et relayés.
C'est à ces axes de réflexion que s'est attelée la 24e conférence de la COPEAM, grâce à l'invitation de Télé-Liban, la chaîne de télévision publique au Liban. La première table ronde de la journée intitulée « Nouveaux médias, narration et débat public : la communication à l'ère de la post-vérité » a voulu répondre à ces enjeux. Modéré par Monica Maggioni, présidente de la Radiotelevisione italiana, le débat a accueilli des invités de marque. Étaient ainsi présents Hatem Atallah, directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures méditerranéennes, Will Vassilopoulos, vidéaste à l'Agence France-Presse, et Magda Abu Fadil, directrice de Media Unlimited, une organisation pour le maintien de la qualité des contenus journalistiques à travers l'éducation ou le conseil.
Alors que la crise des réfugiés cristallise des tensions externes, mais aussi internes à l'Europe, entre une Europe du Sud submergée par l'arrivée des réfugiés et une Europe du Nord ou de l'Est moins concernée par cet afflux massif, la couverture médiatique joue un rôle essentiel. Hatem Atallah a notamment pointé du doigt le fait que dans les grands titres des médias traditionnels, les conflits méditerranéens tendaient à prendre toute la place. Dans le souci d'une information en continu et efficace, la complexité est, selon Hatem Atallah, laissée de côté, favorisant ainsi une mauvaise compréhension de ces sujets dans l'espace public. D'autant que les mouvements populistes s'empressent de relayer des images ou des informations incomplètes et dépourvues d'éthique. Il devient donc facile de ressentir de la haine envers les migrants et de se satisfaire d'une information partielle.
Une information partielle, et parfois erronée, comme l'a expliqué Magda Abu Fadil... La journaliste a pris l'exemple de la visite d'Angela Merkel, le 30 avril dernier, en Arabie saoudite. L'histoire avait commencé sur la page Facebook satirique Khase News, avec la diffusion d'une soi-disant capture d'écran d'une chaîne de télévision saoudienne, diffusant des images d'Angela Merkel avec des cheveux grossièrement floutés. L'information a été massivement diffusée, relayée par les réseaux sociaux et des internautes qui n'avaient pas saisi l'ironie. Un exemple qui montre à quel point il est aujourd'hui facile de truquer des images et de les diffuser.
Si les médias peuvent avoir leur part de responsabilité, il n'en reste pas moins que la couverture de certaines thématiques, comme la crise des réfugiés, est difficile, comme l'atteste l'expérience de Will Vassilopoulos en Grèce. À travers trois reportages émouvants diffusés dans la salle, l'homme a mis l'accent sur les challenges qu'il a dû surmonter en tant que journaliste. Si garder une distance avec les migrants est essentiel, mettre de côté sa culpabilité est aussi nécessaire. Filmer des personnes dans une situation vulnérable, ou ne pas tendre la main sur un bateau car on doit tenir la caméra... Voici quelques situations qui ont conduit le journaliste à un sentiment d'inutilité. Il explique avoir dû faire un travail sur lui-même pour mener à bien ses reportages et couvrir au mieux une situation historique. Surtout, il a mis en garde contre un journalisme trop « statistique », qui s'arrêterait au nombre d'arrivées ou au nombres de morts. Au contraire, Will Vassilopoulous a prôné un journalisme de terrain, un journalisme qui prend son temps. Pour lui, il faut commencer par les histoires des migrants pour expliquer la généralité de la crise, une idée à laquelle Monica Maggiona, la modératrice de la table ronde, a acquiescé.
Face à des enjeux propres à la région méditerranéenne, les intervenants ont cherché à donner des solutions. En première ligne : l'éducation, comme l'a mentionné Monica Maggiona, pour lutter contre les fake news. Magda Abu Fadil, partant de sa longue carrière en journalisme, a estimé essentiel de vérifier sans cesse les informations, et surtout de créer du « crowd sourcing », c'est-à-dire des espaces communs de vérification de l'information. Même si de telles initiatives existent déjà, à l'instar du site Cross Check, créé particulièrement pour l'élection présidentielle française, elles demandent à être renforcées. De la nécessité également de développer des logiciels de vérification des images, comme l'a fait l'AFP avec son logiciel « Tungstene ». Cet outil informatique est non seulement capable de détecter les images truquées, mais aussi de mettre en lumière les modifications réalisées sur ces dernières.
Les solutions doivent aussi être politiques et civiles, comme le montre la Fondation Anna Lindh, représentée par Hatem Atallah. L'organisation s'est donné pour but de créer une discussion autour de la Méditérranée, pour favoriser le « respect mutuel » des cultures, et un « avenir commun » dans la région. Cofinancée par 42 pays de l'Union pour la Méditerranée et par la Commission européenne, la fondation souhaite entres autres renforcer les observatoires des médias, les instruments d'analyse et le lien entre les journalistes et les écoles. À travers leur programme « Voix des jeunes Arabes » lancé en 2001, la fondation soutient les jeunes issus de cette région et désireux de débattre. Près de 80 000 jeunes voix ont pu ainsi se faire entendre plus aisément.
Loin d'un échange houleux, la table ronde a ouvert, dans une atmosphère paisible, des questions liées au traitement médiatique. Si les efforts semblent s'inscrire sur le long terme grâce entres autres à l'éducation et à l'investissement, des initiatives intéressantes sont à souligner. À l'ère des conflits mondiaux dans un monde multipolaire, et à l'heure de la multiplication des sources d'information, cette conférence a avant tout appelé à la prudence. Des conclusions chaleureusement applaudies par la salle, en attendant la table ronde suivante, puis la remise du prix Plural+ 2016, le prix de la vidéo pour les jeunes.

Par Lucile MEUNIER - Source de l'article l'Orient le Jour

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