« L’Europe a subi beaucoup de crises, et à chaque fois elle est sortie plus forte »

La chef de la Délégation européenne au Liban, Christina Lassen. Photo Antoine Ajoury
Les États membres de l'Union européenne célèbrent aujourd'hui la Journée de l'Europe pour marquer l'anniversaire de la déclaration Schuman du 9 mai 1950 qui a jeté les fondements de l'UE. La chef de la Délégation européenne au Liban, Christina Lassen, revient pour « L'OLJ » sur l'avenir du projet européen et le partenariat avec le Liban.

Entre le Brexit, la poussée de l'extrême droite eurosceptique et la crise financière, l'UE ne fait plus rêver les Européens. Que reste-t-il du projet européen aujourd'hui ?
Je suis très optimiste concernant l'Europe, notamment après les résultats de l'élection présidentielle française qui a porté Emmanuel Macron, un pro-européen convaincu, à la tête de l'État. Auparavant, les élections aux Pays-Bas avaient aussi montré l'attachement de la population à l'Europe.

En regardant en arrière, depuis la signature du traité de Rome qui a créé la Communauté économique européenne il y a 60 ans, l'Europe a achevé beaucoup de choses. On a parfois tendance à l'oublier, mais des réalisations extraordinaires ont été accomplies, notamment le projet de paix : personne ne peut imaginer aujourd'hui une guerre entre les pays membres de l'UE. Nous avons géré avec succès des transitions démocratiques dans une partie des États au sein même de l'Union. Sans oublier les avancées économiques et environnementales dont l'UE est particulièrement fière.

L'Europe a par ailleurs relevé des défis de taille ces dernières années. Qu'il s'agisse de la crise financière, de la migration, du terrorisme ou du Brexit, les menaces font partie intégrante de l'histoire du continent. L'Europe a subi beaucoup de crises, et à chaque fois elle est sortie plus forte. En effet, les Européens réalisent constamment qu'ils ont besoin d'encore plus de coopération entre eux, notamment dans les domaines financier, sécuritaire et migratoire. C'est un travail difficile, de longue haleine, sachant que les discussions se font entre 28 pays qui restent attachés à leur souveraineté et à leur spécificité.

Le projet européen est donc toujours d'actualité, il est toujours séduisant. Et notre défi principal est d'écouter un peu plus les citoyens européens. Avoir 60 ans est donc une excellente occasion de faire une introspection et de nous renouveler. C'est d'ailleurs le projet proposé il y a quelques mois par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui veut renforcer le débat public avec les citoyens européens sur l'avenir de l'Europe. Il faut noter par ailleurs l'attachement de nos partenaires internationaux à une Europe forte et stable.

Vous croyez vraiment que des partenaires comme le président américain Donald Trump ou le président russe Vladimir Poutine veulent une Europe plus forte ?
Je crois qu'il y va de l'intérêt de tout le monde d'avoir une Europe forte. Federica Mogherini, la haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, qui était en tournée récemment en Russie, en Inde, en Asie, et en Amérique latine, a affirmé la semaine dernière que partout où elle est allée – malgré parfois des messages contradictoires dans certains pays –, elle a constaté que tous veulent coopérer avec une Europe forte aux plans économique, sécuritaire et même politique. Et cela vient du fait que l'UE est prévisible, fiable et sa politique est fondée sur des valeurs sûres.

Toutefois, la politique étrangère européenne reste le point faible de l'UE, notamment au Moyen-Orient. Entre le conflit israélo-palestinien ou la guerre en Syrie, l'Europe est critiquée pour sa faiblesse, son hésitation et son manque d'influence...
Ces critiques ne sont pas fondées sur des réalités. En effet, l'UE a joué un rôle important dans la conclusion de l'accord nucléaire avec l'Iran. L'Europe a à son actif un succès diplomatique important dans les Balkans ainsi qu'en Afrique. Actuellement, la coopération de l'UE au Moyen-Orient est vivement sollicitée par plusieurs acteurs importants. Par ailleurs, l'UE est la seule à avoir soutenu activement la population syrienne dans leur pays ou à travers l'aide aux réfugiés dans les pays limitrophes et aussi en Europe. Nous sommes par ailleurs très impliqués dans le processus politique sous l'égide de l'ONU. Il est vrai que nous ne sommes pas impliqués militairement sur le terrain comme d'autres pays, mais c'est précisément parce que nous croyons en la résolution pacifique des conflits par la voie politique à travers les négociations. Ce problème est tout aussi valable en Syrie que dans le conflit israélo-palestinien où l'UE fait partie du quartette.

Qu'en est-il du Liban où l'UE est très active à travers son soutien aux institutions étatiques et à la société civile. Pouvez-vous nous parler de l'esprit de cette coopération entre le Liban et l'UE ?
Pour l'Europe, le Liban est un pays-clé. Dans une région en pleine ébullition, le Liban est pour nous un modèle de tolérance et de coexistence. Le pays est par ailleurs en première ligne dans la guerre contre le terrorisme. Il est donc extrêmement important pour l'UE de coopérer activement avec le Liban pour le soutenir et consolider sa résilience dans les domaines sociaux, économiques et sécuritaires. Nous travaillons avec le gouvernement et la société civile en vue de bâtir des institutions étatiques fortes, et de renforcer l'État de droit et l'économie. C'est donc la logique de notre coopération avec votre pays.

Quelle est la politique de l'UE dans ce contexte pour équilibrer l'aide européenne entre les Libanais et les réfugiés syriens au Liban ?
Nous comprenons la frustration des Libanais. Supporter le poids de plus d'un million de réfugiés syriens est extraordinaire pour le Liban et les Libanais. Notre soutien porte évidemment sur une aide humanitaire pour les réfugiés, mais aussi sur une assistance au pays hôte, illustrée par une aide substantielle au système éducatif et de santé au Liban qui bénéficie tout aussi bien aux Libanais qu'aux Syriens. Notre coopération est forte avec les collectivités locales au niveau de nombreux projets relatifs à l'infrastructure (eau, déchets solides, etc.). Nous faisons donc autant que possible pour alléger ce fardeau.

Le Premier ministre Saad Hariri a proposé récemment un plan concernant le développement de l'infrastructure qui sera par la même occasion un moyen de créer des emplois pour les Libanais et les Syriens. L'UE envisage-t-elle de soutenir ce projet ?
Le plan a été présenté lors de la conférence internationale pour les réfugiés syriens qui a eu lieu début avril à Bruxelles. C'est un plan très ambitieux pour redynamiser l'économie du pays et créer des emplois, et qui nécessite d'énormes investissements à long terme. Non seulement de dons, mais aussi des prêts concessionnels ainsi que l'implication du secteur privé. Nous discutons avec le gouvernement libanais pour que nous mobilisions davantage de fonds afin d'obtenir le résultat escompté. C'est exactement ce genre de projet que nous encourageons, d'autant qu'il permettra de créer nombre d'emplois pour les Libanais et les Syriens. Enfin, le Liban a un besoin urgent de renouveler ses infrastructures, d'une part, et, d'autre part, le pays doit être prêt pour le jour où la guerre se terminera en Syrie afin d'être une plate-forme pour la reconstruction de ce pays.

Par Antoine AJOURY - Source de l'article l'Orient Le Jour

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