Les engagements non tenus du partenariat de Deauville

Les engagements du G7 dans le cadre du partenariat de Deauville, notamment vis-à-vis de la Tunisie, sont demeurés sans lendemain.

Béji Caïd Essebsi invité au sommet du G7, tenu en juin 2015 en Allemagne,
a eu beau rappeler aux chefs d’Etat occidentaux leurs promesses du sommet
de Deauville: ils sont déjà passés à autre chose!
Les manifestations organisées début mai par l’ambassade de l’Union européenne (UE) à Tunis à l’occasion de la Journée de l’Europe ont donné lieu à un rappel par le ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui et l’ambassadrice de l’UE (UE) Laura Baeza de l’historique et du bilan de la coopération entre la Tunisie et l’UE initiée par la conclusion de l’accord signé entre les deux parties le 28 mars 1969.

Toutefois, cet accord a été curieusement passé sous silence dans les allocutions officielles au profit de celui signé à Tunis le 25 avril 1976 avec la Communauté économique européenne (CEE) présenté comme étant le point de départ de la coopération tuniso-européenne.

Certes, l’accord de 1976 est le premier à s’inscrire dans le cadre de la «politique communautaire et équilibrée à l’égard du bassin méditerranéen» mais il est inconcevable que l’on puisse évoquer l’histoire des relations de l’Europe avec la rive sud de la Méditerranée sans évoquer l’accord de 1969, qui repose sur l’article 238 du traité de Rome, texte fondateur du marché commun européen.

L’accord de 1969, cadre stratégique fondateur des relations Tunisie-CEE

En effet, cet accord ainsi que celui conclu avec le Maroc, d’essence purement commerciale, revêtent une importance majeure dans la mesure où ils ont marqué de leur empreinte tout le processus des relations entre les deux rives de la Méditerranée depuis les indépendances. Son ambition première était de préserver les liens particuliers forgés par l’histoire ainsi que par l’influence et les intérêts privilégiés économiques et commerciaux de l’Europe en Tunisie et à l’échelle régionale.

A cet effet, l’article 238 sus mentionné propose d’emblée aux pays du sud, en particulier à la Tunisie et au Maroc, la conclusion d’accords créant «une association caractérisée par des droits et des obligations réciproques, des actions en commun, et des procédures particulières». A priori, il s’agissait de forger un cadre futur des relations en les situant dès le départ à un niveau supérieur, plus proche du partenariat stratégique que d’une simple coopération économique et commerciale.

Néanmoins, c’est la dimension commerciale qui a prévalu dans cet accord, en symbiose parfaite avec les visées de la CEE et en particulier la France qui entendait préserver voire consolider son statut de principal fournisseur et partenaire économique de la Tunisie. A l’opposé, celle-ci ambitionnait au contraire de varier ses partenaires européens et de conclure un «contrat de développement» sous forme d’aide à la réalisation des objectifs assignés à sa stratégie de développement initiée par l’édification des bases d’un Etat moderne par la mise en œuvre des «perspectives décennales de développement» des années 60 ainsi qu’aux plans de développement y associés axés sur la décolonisation économique et l’édification de secteurs productifs performants dans l’industrie, le tourisme et l’agriculture.

Ces préoccupations seront théoriquement mieux prises en compte dans l’accord de 1976 mais dans la réalité des faits la partie européenne ne se départira jamais de son objectif initial qui était et demeure l’établissement d’une zone de libre échange intégrale entre les deux rives sans se soucier des écarts de développements qui ne permettront pas aux pays du sud de tirer profit de cet échange inégal.

Cet article initie un travail de réflexion destiné à décrire le cadre évolutif des relations entre et la Tunisie et l’Europe en mettant en lumière les constantes, les points de convergences, et la ligne de conduite stratégique immuable imprimée par la partie européenne aux accords ayant jalonné ses relations avec la Tunisie et la rive sud durant les soixante dernières années.

Celle-ci est en effet considérée comme étant une zone d’importance stratégique durant la guerre froide puis dans le cadre des rivalités et des luttes entre grandes puissances occidentales et les nouveaux émergents pour la préservation des intérêts économiques ou commerciaux, le maintien ou l’élargissement des zones d’influence ou la conquête de nouveaux marchés.

Ainsi chaque retournement de l’histoire comparable aux indépendances, à la fin de la guerre froide, à la mondialisation économique ou aux révolutions arabes, s’accompagne d’une nouvelle initiative européenne ou occidentale destinée à préserver l’ordre établi et à prémunir les pays occidentaux contre toute réorientation majeure des choix économiques ou diplomatiques des pays du sud dans le sens d’une remise en cause des intérêts étroits et des liens de dépendance ainsi que de l’influence dominante de l’occident sur la rive sud.

Et c’est dans ce cadre qu’il convient d’appréhender les accords de 1969 et 1976 et d’en analyser le contenu au même titre que les accords de partenariat de seconde génération initiés par le processus de Barcelone et notamment l’accord de libre échange de 1995 ainsi que les accords conclus ou programmés après les révolutions arabes dont en particulier l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca).

Toutefois, l’attention sera focalisée dans cet article sur le cinquième anniversaire du «nouveau partenariat pour la démocratie» proposé par le G8 au lendemain des révolutions arabes et annoncé en grande pompe dans la déclaration finale du sommet de Deauville tenu les 25 et 26 mai 2011.

Les dessous du partenariat de Deauville

Bien que passé depuis sous silence par les responsables des pays des deux rives, cet événement revêt une importance capitale dans la mesure où il s’agit du nouveau cadre stratégique censé avoir été mis en place pour corriger les politiques du passé axées sur l’appui accordé par les pays occidentaux à des régimes arabes corrompus non démocratiques en échange de la préservation des zones d’influence, des intérêts économiques et des choix de l’économie de marché et du libre échange au détriment des valeurs de démocratie et de liberté considérées comme étant désormais partagées avec les pays du printemps arabes.

Mais pour la première fois, les pays occidentaux affichent l’intention de reconsidérer leurs priorités dans les relations avec la rive sud jusque-là axées sur des considérations purement commerciales.

Ce faisant, le G8 s’était engagé, dans la déclaration finale de ce sommet, à privilégier l’appui à la concrétisation des aspirations jugées légitimes des peuples d’Afrique du nord et du Moyen-Orient «pour la mise en place de sociétés démocratiques et ouvertes et une modernisation économique qui profite à tous». Il considère également que «la démocratie demeure le meilleur chemin vers la paix, la stabilité, la prospérité, une croissance partagée et le développement».

Pour la concrétisation des objectifs qui lui sont assignées, ce nouveau partenariat repose sur deux piliers politique et économique; le premier est destiné à favoriser la transition démocratique par la mise en place d’Etats de droit, d’institutions assurant l’alternance et de pouvoirs issus d’élections libres. Quant au volet économique, il est censé fournir aux pays du partenariat les aides économiques et financières susceptibles de répondre aux aspirations des populations à la prospérité et à une croissance forte assurant la stabilité politique et économique et garantissant la réussite de la transition vers des démocraties stables.

A ce propos, un programme d’aide ambitieux de l’ordre de 80 milliards de dollars – dont 20 milliards au profit de la Tunisie et l’Egypte – était destiné à traduire dans les faits ce «changement stratégique dans l’approche et l’action de la communauté internationale dans la région» qui s’engage désormais à adapter son aide aux besoins spécifiques de chaque pays et «aux priorités définies et approuvées par les gouvernements nationaux à l’issue d’une large concertation avec les parties prenantes concernées».

En outre, le G7 s’était engagé à respecter ses «engagements internationaux concernant la restitution des avoirs volés et d’aider la Tunisie et l’Egypte à recouvrer leurs avoirs par des actions bilatérales appropriées et par la promotion de l’initiative pour la restitution des avoirs volés de la Banque mondiale (BM) et des Nations Unies…».

La situation actuelle, dangereusement précaire de la Tunisie, pourtant considérée comme étant la seule rescapée du printemps arabe, l’état de délabrement avancé de son économie et de ses équilibres financiers ainsi que sa transition démocratique chaotique prouvent que le G7 n’a pas été à la hauteur de ses engagements demeurés sans lendemain.

Il convient de rappeler que la Tunisie avait été conviée en la personne de son président de la république à assister au sommet du G7 tenu en Allemagne en juin 2015. Les demandes d’aides financières à des conditions préférentielles formulées par la Tunisie – à nouveau évoquées en septembre en marge de l’assemblée générale des Nations Unies – n’ont également pas été satisfaites.

En revanche, la Tunisie a été contrainte, depuis 2013 et à nouveau en 2016, de se soumettre, dans des conditions d’extrême précarité économique et financière aux crédits conditionnés et aux plans d’ajustement structurels imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la BM lesquels sont dominés à travers leur conseil d’administration par le G7 et l’UE.

Parallèlement, elle est soumise aux pressions incessantes de l’UE pour activer l’extension du libre échange à tous les secteurs économiques, notamment l’agriculture et les services, à travers la conclusion de l’Aleca qui figure en tête des priorités mentionnées dans la déclaration de Deauville.

Ainsi le G7 et l’UE ont pu réaliser, sans aucune contrepartie et sans respecter la moindre de leurs promesses, tous leurs objectifs assignés au partenariat de Deauville.

Mais le plus grave est que les financements conditionnés accordés à la Tunisie au niveau bilatéral et multilatéral sont essentiellement alloués au règlement du service de la dette étant signalé que la Tunisie ne tire aucun profit économique de ces crédits puisqu’elle est devenue un exportateur net de capitaux en faveur de ses principaux créanciers membres du G7 et en particulier les Etats-Unis, la France, le Japon et l’Allemagne.

La seconde partie de cet article sera consacrée à l’étude des raisons de cet échec à travers l’analyse du contenu de la déclaration finale de ce «partenariat» faussement présenté comme traduisant une nouvelle stratégie occidentale à l’égard de l’Afrique du nord et du Moyen Orient. Et ceci nous permettra d’en dévoiler les faces cachées et les véritables intentions de ses initiateurs.

Par Ahmed Ben Mustapha ( Ancien diplomate ) - Source de l'article Kapitalis

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