Quel futur pour le financement participatif en Méditerranée ?

Le crowdfunding est un moyen de financement collaboratif qui a vu le jour en 2008. L’essor de cette rencontre entre pratiques anciennes de solidarité et puissance du web 2.0 a été fulgurant. Qu’en est-il en région Sud de la Méditerranée ?

Crowdfunding en Méditerrannée
Le financement participatif permet aux entreprises et projets associatifs et culturels
de voir le jour (photo via Creative Market)
C’est la question que s’est posé Arnaud Pinier, PDG de Happy Smala, une agence de conseil et d'étude sur l'économie collaborative et l'open innovation basée au Maroc, et de la plateforme de crowdfunding Smala&Co

Il a récemment publié une étude sur la question pour SwitchMed, une initiative financée par l'Union européenne dont l’objectif est de faciliter la transition vers une consommation et une production durables dans la région Sud de la Méditerranée.

Nous lui avons demandé comment il imagine le futur du financement participatif dans la région.

Wamda : D’où viennent les fonds collectés dans le sud de la Méditerranée ?

Arnaud Pinier : Sur l’ensemble de la période 2009-2015, 8 millions d’euros ont été collectés dans la région arabe. Jusqu’à une période assez récente, la plupart de ces pays utilisaient des plateformes étrangères pour se financer.

Au Maghreb, on est sur des pays avec le contrôle des changes [NdlR: ils sont fortement limités dans leurs achats et transferts d’argent depuis et vers l’étranger]. Mis à part [les plateformes locales] Afineety qui est toujours en phase bêta et Cotizi qui a dû collecter 75 000€ des 450 000€ collectés dans le pays, l’ensemble des fonds collectés au Maroc vient de l’étranger. L’Algérie c’est pareil. La Tunisie c’est pareil.

La Palestine n’a pas de plateforme en propre sur son territoire donc les plateformes utilisées sont étrangères et les fonds viennent de l’étranger.

Le Liban est un pays avec une forte diaspora qui attire beaucoup de fonds de l’étranger.

Wamda : Où en est-on du financement participatif dans la région ?

AP : On est à trois stades différents au niveau de la méditerranée.

On a les pays du Maghreb qui ont une législation très contraignante sur l’activité, qui ont un tissu entrepreneurial relativement peu développé et tout un tas de pratiques en ligne qui ne sont pas favorables au développement de l’écosystème web.

Au Maghreb, du point de vue du crowdfunding, on est encore à l’année zéro puisque le Maroc c’est 450 000€ collectés par crowdfunding de 2009 à 2015. La Tunisie c’est un peu moins de 300 000€ donc on est vraiment aux balbutiements. La Libye et l’Algérie sont loin derrière la Tunisie et le Maroc.

Les plus gros projets qui sont financés dans ces pays sont essentiellement des projets de charité ou humanitaire. Ce sont des modèles qui ne sont absolument pas disruptifs ou nouveau. Le financement des associations par le don, ça existe depuis trente ans.

Le deuxième groupe qu’on peut identifier et qui est à un stade d’avancement un peu plus avancé est le Liban, la Jordanie et l’Egypte. On est sur des montants globaux qui tournent à, à peu près, un million d’euros [par pays] sur la période. La typologie des acteurs est plus centrée sur les particuliers et les entreprises.

La Palestine fait un peu figure d’OVNI. En terme de porteurs de projet, elle est proche [du premier groupe]. Ce sont essentiellement des associations qui portent les projets et ce sont essentiellement des projets humanitaires. Mais la Palestine collecte 1,8 millions d’euros [Ndlr : presque deux fois plus que la Jordanie ou le Liban].

Wamda : Comment expliques-tu la prévalence de la logique de la charité ?

AP : Quand tu es dans une logique de crowd-equity, tu es là pour faire de l’argent et la logique collaborative s’efface presque.

Par contre, pour tout ce qui est du domaine du don, tu te confrontes à la logique culturelle locale. Pour beaucoup, le don ne peut pas être autre chose que de la charité et ce ne fait pas de sens de faire du don sur les activités commerciales et culturelles.

Et après sur le modèle du prêt, c’est un problème fondamental de confiance. Dans le don, tu donnes et ça clôt quasiment l’interaction. Dans l’equity, tu rentres dans une logique de pouvoir. Par contre dans le prêt, tu es dépendant de la bonne volonté de la tierce partie à rembourser les échéances. Sur le marché, il n’y a pratiquement pas d’activités de crowd-lending, c’est moins de 1% des montants collectés, là où dans le reste du monde c’est 75% du marché.
CoFundy permet aux Maghrébins de financer des projets
Wamda : A t’écouter, le financement participatif a pris du retard dans la région. A quoi imputes-tu ce retard ?

AP : Il y a un frein super ennuyeux, c’est le paiement en ligne. Tant que les gens n’accepteront pas de payer en ligne, cela va être compliqué de développer une activité de crowdfunding qui respecte les principes élémentaires de transparence et de sécurité de tout intermédiaire financier.

D’autre part, 99% des plateformes dans le monde travaille avec le principe du tout ou rien, c’est-à-dire que tu ne prends l’argent que si tu atteins l’objectif que tu t’es fixé. Autant avec les paiements par carte bleue, ce mécanisme là est facile à mettre en place, autant avec les espèces, c’est hyper compliqué. [L’absence de e-paiement] est, à mon sens, un vrai soucis pour le développement du crowdfunding.

Wamda : Alors quel futur pour le financement participatif dans la région ?

AP : On est dans une phase un peu charnière parce que normalement, d’ici le mois de mai, on devrait faire rentrer un projet de loi pour le crowdfunding au Maroc et ce sera un des tous premiers pays dans la région MENA et Afrique à avoir un cadre législatif dédié au crowdfunding.

Je crois que si on est capable de mettre en place des cadres législatifs, que derrière on est capable d’embarquer des grosses entreprises locales qui sont des gages de confiance pour les gens, ça va être le déclic dans la tête des gens.

Si la loi passe, on [Happy Smala] devrait signer des partenariats avec des banques ou des fondations d'entreprise. Pour les bailleurs de fonds, c’est un moyen différent de donner de l’argent. Demain, l’idée d’utiliser une plateforme de crowdfunding, c’est de pouvoir dire « Ok on va vous donner de l’argent, mais on ne va vous donner de l’argent que si vous avez sollicité et engagé une communauté autour de vous et pour un euro soumis par une communauté, nous on rajoutera un euro ». On va pouvoir faire sortir les gens de la logique d’assistanat dans laquelle ils sont aujourd’hui et on va pouvoir les mettre dans une situation de marché. C’est un peu la logique de Aide-toi et le ciel t’aidera.

Pour les banques, c’est la problématique de diversité de leur portefeuille. On est en train de discuter avec une banque de la possibilité de monter une plateforme de crowd-lending parce que ça peut générer du PNB pour la banque et diversifier son exposition au risque. Si c’est la foule qui prête de l’argent, la banque ne prend pas de risque et n’a pas besoin d’immobiliser des fonds.

D’ici un ou deux, on pourrait peut-être voir [dans la région] des premières plateformes portées par des banques.

Wamda : Encore faut-il réparer la confiance entre les gens ?

AP : Il y a une certaine schizophrénie chez les nouvelles générations, les 15-45 ans, déjà abonnés à l’éthique individualiste. Bien que solidaires, cette génération connectée n’a pas encore adopté de pratiques collaboratives en grand partie à cause d’un déficit de confiance. Elles sont prêt à soutenir la veuve et l’orphelin, mais soutenir leur copain ou un jeune à la tête bien faite pour qu’il invente l’ordinateur du futur, c’est encore très compliqué.

Il faudrait s’appuyer sur les générations précédentes, les 50 ans ou plus, qui ont encore un recours fréquent à ces pratiques et font un peu office de gardiens du temple des pratiques d’entraide et de soutien communautaire. Ils ont un rôle à jouer dans la transmission de ces pratiques aux plus jeunes générations.

Le modèle social et politique marocain est aussi très fortement institutionnalisées. Les institutions sont fortes et conditionnent énormément l’engagement et l’action des individus. On n’agit pas sans l’aval préalable de l’institution, que ce soit le père de famille, le patron,…. jusqu’au modèle politique de la monarchie. Dans ce contexte les grandes entreprises nationales ont un rôle fondamental à jouer. 

C’est à vous les grosses entreprises de jouer. Si vous ne faites rien, il ne se passera rien.

Par Aline Mayard - Source de l'article Wamda

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