Méditerranée : La mer comme espace de partage et de solidarité

Au-delà des querelles de souveraineté, la mer et les espaces maritimes peuvent être porteurs d’un message de partage et de solidarité en Méditerranée.

MediterraneeLe Méditerranéen a le sang chaud et il n’est pas rare qu’il use de l’exagération pour appuyer son propos. Le récent déroutement d’un chalutier génois vers Nice et les interdictions opposées aux pêcheurs sardes auront eu cette vertu de provoquer une colère toute méditerranéenne de la part de nos cousins transalpins.


La limitation des eaux territoriales en question

A leur décharge, il faut bien reconnaître que l’attitude des autorités locales françaises à l’égard des navires de pêche italiens n’est pas loin, même si le terme est un peu fort, du ridicule. Si les souverainistes peuvent y puiser un réconfort devant une telle fermeté à faire respecter la préservation des ressources françaises, cela serait oublier que nous ne sommes plus au début du 20e siècle et que, de manière à peine subsidiaire, la position est juridiquement infondée.

Il y a un décalage entre la gravité des actes reprochés, quelques casiers et kilos de crevettes, et la sévérité de la sanction. Sans doute a-t-on voulu satisfaire les pêcheurs locaux, mécontents de voir leurs cousins et voisins venir pêcher dans des zones habituelles. Quitte au passage à ne pas retenir l’existence potentielle de droits de pêche, que l’on peut qualifier d’historiques comme ils existent en Manche et en Atlantique avec nos voisins espagnols, anglo-normands, belges et même néerlandais. Et à se poser en champions de la lutte contre l’usage italien du chalut, aux effets dévastateurs pour les fonds marins, lequel est interdit dans les eaux territoriales françaises. Ce qui là aussi ne manque pas de piment quand on connaît le sort que nos députés viennent de réserver, dans la nuit du 17 mars 2016, au chalutage profond hauturier dans le projet de loi sur la biodiversité. Apparemment le chalut ne dévaste pas partout et il peut être vertueux chez nous…
C’est ainsi que l’on a suscité chez nos voisins italiens une grogne à propos d’un accord signé en mars 2015, grogne, qui par son caractère excessif, confine aussi par certains aspects au ridicule.

Il existe bel et bien un accord, signé à Caen le 21 mars 2015 par les deux parties portant sur la délimitation des mers territoriales et des zones sous juridiction nationale entre la France et l’Italie. Cet accord n’est pas soudainement «sorti du chapeau» mais est le fruit de plusieurs sessions de négociations entamées formellement depuis 2006, en conséquence logique de la création par la France, en janvier 2004, de la zone de protection écologique de Méditerranée, puis en octobre 2012 de la zone économique exclusive.

Une des vertus de cet accord étant de combler une lacune préjudiciable car, aussi étrange que cela puisse paraître, la limite des eaux territoriales françaises et italiennes n’est pas déterminée. En effet, malgré une lecture attentive du décret n° 2012-1148 du 12 octobre 2012 portant création de la zone économique exclusive française en Méditerranée, et du traité franco-italien de 1986 délimitant les eaux territoriales françaises et italienne dans les bouches de Bonifacio, il convient de noter que la délimitation effective des eaux territoriales entre la France et l’Italie n’existe pas.

L’usage du présent dans cette dernière affirmation n’est pas une erreur de conjugaison et de concordance des temps. Si l’accord a bien été signé, à ce jour il n’a été ratifié par aucune des deux parties. Quand bien même, comme ont pu le prétendre certains, il aurait été ratifié par la France, il n’en serait pas en vigueur pour autant puisque l’accord prévoit qu’il ne le sera que le premier jour du deuxième mois suivant la date de la dernière notification de ratification des Parties.

En ce sens, nous ne sommes donc pas loin du ridicule à vouloir manier le bâton à l’égard de pêcheurs qui, à n’en pas douter, fréquentent ces eaux depuis des années sans se soucier de savoir si c’est en France ou en Italie. Excès de zèle de la part de nos agents de la fonction garde-côtes à appliquer un traité qui n’est pas en vigueur? Ou méconnaissance des modalités d’application du droit international? A priori, le patron de pêche italien disposera de quelques arguments pour obtenir une indemnisation du préjudice subi puisque matériellement l’infraction n’est pas constituée.


Nouvelle frontière maritime entre la France et l’Italie.
Pour une gestion pérennes des espaces maritimes

Au delà des subtilités juridiques, n’y aurait-il pas une forme de «ridicule», alors que l’on s’efforce de construire une Nouvelle Europe, à continuer d’ergoter pour quelques km2 de mer territoriale et kilos de poissons alors même que la réglementation des pêches, dans sa plus grande globalité, relève de l’Union européenne (UE) et que, pour ce qui concerne les activités économiques, notamment sur le territoire de chacun des Etats membres, il y a longtemps que, en dehors des domaines liés à la défense et à la sécurité nationale, la préférence nationale n’est plus de mise.

Il est «ridicule» de vouloir faire subir aux pêcheurs italiens le même sort que celui que nous réservons aux navires asiatiques qui viennent piller nos eaux du Pacifique et des terres australes antarctiques. D’autant que l’accord, lorsqu’il sera en vigueur, mentionne bien, en vue d’éviter qu’il ne porte préjudice aux traditions de pêche des marins pêcheurs professionnels des deux pays, que ces derniers conviennent, à titre d’arrangement de voisinage, de laisser les navires de pêche côtière français et italiens exercer une activité sur les lieux de pêche traditionnels à l’intérieur d’une zone située entre la Corse et la Sardaigne. L’accord aurait pu être plus ambitieux et ne pas se limiter à cette seule zone mais, si la règle n’y est pas, l’esprit au moins est bien présent.

Une autre vive récrimination italienne porte sur l’abandon à la France de vastes zones maritimes sans contrepartie. Il s’agit davantage d’une posture de politique interne italienne entre le gouvernement et les régions car, même si effectivement la France «récupérera» une zone économique exclusive un peu plus étendue que celle définie par le décret de 2012, nous sommes loin du don et de la braderie par l’Italie des zones les plus productives.

Mais si l’on veut persister dans une vision «ridicule» de ces différends, il est symptomatique de constater que l’on revendique toujours des droits sur les ressources marines existantes ou supposées mais beaucoup plus rarement l’exercice des responsabilités et des devoirs à l’égard du milieu marin.

Aussi ne serait-il pas temps de ressortir ce projet d’accord tripartite entre l’Espagne, la France et l’Italie envisagé en 2005 et de lui donner une nouvelle ambition propre à susciter une approche européenne «révolutionnaire» de la gestion des espaces maritimes ?

Arrêtons de nous retrancher derrière des lignes, qui en mer sont imaginaires et ne seront que les lignes Maginot de nos déconvenues. Faisons de nos trois zones économiques exclusives une seule zone commune dans laquelle nous assurerons la gestion des ressources et la protection de la biodiversité notamment et organisons nous pour que les interventions réciproques contrôlées dans les eaux territoriales soient possibles. Ne tombons pas dans le piège, même si l’accord de mars 2015 évoque le partage et la concertation, des différends sur les limites maritimes pour exploiter un éventuel gisement d’hydrocarbures ou de gaz, qui sous les profondeurs de la couche terrestre se moque bien de ces traits négociés ou de «construire» de part et d’autre d’une limite commune deux activités antinomiques.

L’Europe déjà nous invite à mettre en œuvre une politique commune de planification de l’espace maritime. Nos trois pays ont une opportunité unique pour donner un exemple à la fois aux autres Etats membres de l’Union mais aussi à l’ensemble des riverains de la Méditerranée. Si la mer et les espaces maritimes peuvent être porteurs d’un message de partage et de solidarité en Méditerranée, après avoir longtemps était un élément d’affrontement, il serait dommage de rater cette occasion.

Alors oui, dans cette perspective, si nous y parvenons, le sort réservé aux pêcheurs italiens paraîtra bel et bien ridicule et désuet.

Par Philippe Dezeraud (Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil) - Titre original de l’article : ‘‘Différend franco-italien autour d’un chalutier génois : revenir au bon sens !’’

Source de l'article Kapitalis

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