La valorisation des déchets en Méditerranée, nouveau levier d’un développement durable des territoires

Organisée dans le cadre de la Semaine économique de la Méditerranée, à Marseille, la table-ronde IPEMED – AVITeM/Villa Méditerranée visait à présenter les atouts de l’économie circulaire comme levier de croissance économique et de développement durable des villes et territoires méditerranéens. 

Plus de 80 personnes ont participé aux échanges, modérés par Frédéric Dubessy, Rédacteur en chef d’Econostrum et introduits par Kelly Robin, Chef de projet Infrastructures et ressources naturelles au sein d’IPEMED. 

Ont ainsi été rappelés les enjeux d’une meilleure gestion des déchets au regard des enseignements tirés lors de la MEDCOP21 et des contributions-climat des pays méditerranéens : en Tunisie, par exemple, 70 millions de dollars seraient nécessaires pour la mise en œuvre de projets portant sur le traitement des déchets solides.

« Ces objectifs appellent à promouvoir une approche intégrée, mais aussi pragmatique de la question des déchets en Méditerranée » - Kelly Robin 

Isabelle Raeser, Directrice de la Collecte et de la Gestion des Déchets de la Ville de Nice, s’est ainsi appuyée sur l’expérience acquise dans le cadre du projet MED-3R*, dont les travaux s’achèvent en décembre 2015, pour insister en premier lieu sur la nécessité d’avoir un cadre de règlementation adapté. En outre, la problématique de la gestion des déchets nécessiterait aujourd’hui d’étendre le triple concept initial 3R « Rallonger la durée de vie des produits, Réduire la production de déchets, Recycler les déchets » à un concept 5R qui inclut en amont le « Redesign » des produits pour être recyclables, et en aval leur « Reconception » pour répondre à la demande. Si le traitement des déchets est « un service public de première nécessité » qui incombe aux collectivités locales, Madame Raeser a souligné le rôle-clé des citoyens pour le tri des déchets ; constat également partagé par Mounir Mehdi, Président de la commission de la santé, la propreté et la protection de l'environnement de la Municipalité de Sfax, pour qui le partage des tâches et des responsabilités est stratégique. En témoigne le partenariat noué par la Municipalité avec l’Université de Sfax à qui est dédiée la recherche d’un compost de la qualité à partir des déchets de la zone, mais aussi avec un partenaire privé pour penser l’aval de la filière, à savoir la commercialisation du compost. Cette expérience réussie a suscité l’intérêt d’autres communes tunisiennes telle que Gabès, et souligné le besoin d’un système de transport des déchets efficace, qui n’existe souvent pas dans les villes du Sud de la Méditerranée, défi supplémentaire mais incontournable. 

« Le projet MED-3R ? Ce programme nous a donné le courage de démarrer une idée » - Mounir Mehdi

En filigrane de ces regards croisés autour du projet MED-3R a émergé l’importance de la coopération euro-méditerranéenne, dans le cadre de projets européens dédiés ou d’échanges de bonnes pratiques entre acteurs de la région. Dans cette optique, le témoignage de Carlos PEREIRA, Chargé des relations internationales au sein du CD2E, a permis de mieux comprendre le rôle des « bourses de déchets industriels » et leur transposition au Sud de la Méditerranée. Celle mise en place par le CD2E en 2005, sous forme électronique, a mis en évidence la nécessité de trouver des solutions de valorisation pour les déchets textiles, ce qui a engendré la création de la Vallée du Recyclage Textile. Le succès de cette initiative, qui s’attache non à la quantité des déchets mais à leur qualité, a ainsi incité le Centre Marocain de Production Propre (CMPP) à solliciter l’appui du CD2E pour le lancement de la bourse de déchets industriels marocaine. Outre le rôle de ces instruments participatifs pour la caractérisation des déchets sur un territoire donné, cet exemple a révélé les opportunités socio-économiques liées à la mise en place de stratégies d’économie circulaire à l’échelle locale. 

La présentation du projet d’intégration du secteur informel mené par le groupe Suez, dans le cadre de la réhabilitation de la décharge de Meknès, a également plaidé pour une meilleure prise en compte du contexte local pour le traitement des déchets. 

« Le projet mené à Meknès par Suez est pionnier en matière d’ingénierie sociale » - Aymeric Bajot

En effet, Aymeric BAJOT, Chargé de mission Accès aux Services Essentiels au sein du groupe Suez, a partagé avec la salle, le processus novateur mis en place par le groupe à Meknès pour intégrer, organiser le travail des personnes opérant sur la décharge et sur la zone afin d’établir une relation de confiance, et d’asseoir la démarche de l’opérateur sur des critères de durabilité sociale et environnementale. Environ 250 « chiffonniers » de la zone se sont ainsi rassemblés dans une coopérative, sur la base du volontariat, et sont impliqués dans le centre de tri. Accorder le temps nécessaire à une telle démarche est bénéfique à sa réussite et son ancrage local. Ainsi, si la mise en place du centre de valorisation nécessite plus de temps que prévu, ce délai est perçu positivement par les porteurs du projet et les acteurs locaux pour qui ce temps supplémentaire est finalement un facteur clé de succès. 

Le caractère « passionnément sociologique » de cette thématique « déchets », pour reprendre les termes d’Isabelle Raeser, a été au cœur des échanges avec le public ; en témoigne la présentation par un membre de l’assemblée de l’initiative citoyenne « 1 Piece of Rubbish » (« 1 déchet par jour ») qui consiste à proposer aux Marseillais de ramasser un déchet dans la rue, devant chez eux ou devant leur bureau. 

Pour Jean-Louis Guigou, Président d’IPEMED, les enjeux liés aux déchets et à l’économie circulaire, marque le retour de la proximité, des circuits-courts, et nécessite une «transformation des comportements à la base » et le renouveau du système mutualiste afin d’intégrer le secteur informel. Dans cette optique, l’échelon territorial est en passe de devenir le terreau d’un nouveau modèle de développement économique durable en Méditerranée et au-delà, puisqu’IPEMED porte la vision macrorégionale « Afrique – Méditerranée – Europe ». Pour Bernard Valero, Directeur de l’AVITeM-Villa Méditerranée, le sujet des « déchets » nous oblige également à abandonner nos catégories cognitives traditionnelles, et à placer au cœur de cette question, la responsabilité des citoyens. Comme M. Guigou, M. Valero a insisté sur les retombées positives pour les territoires d’une meilleure valorisation de cette matière première secondaire, et d’une meilleure coopération entre les acteurs (politiques, industriels, société civile, etc) du Nord comme du Sud de la Méditerranée – tâche à laquelle s’emploient l’IPEMED et l’AVITeM dans leurs domaines d’activités respectifs. 

*« MED-3R Plateforme Stratégique euro-méditerranéenne pour une gestion adaptée des déchets » est un projet stratégique du Programme IEVP CT Med dans le cadre de la thématique « Traitement et recyclage des déchets ». Ce projet, de 4.787.062 € financé à 90 % par le Programme, rassemble 15 partenaires directs et 7 partenaires associés.

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Le saviez-vous ? 

La conférence s’est inscrite également dans la continuité de l’étude menée par IPEMED, pour le compte de l’ADEME et en collaboration avec le Professeur Brahim Soudi, sur l’économie circulaire en Méditerranée. Ces travaux ont permis de mettre en évidence le coût de la dégradation de l’environnement du aux déchets, et la situation actuelle :
- la production de déchets municipaux est actuellement deux fois plus importante en Europe qu’au Maghreb ;
- la production de déchets / habitant dans les PSEM a augmenté de 15% ces dix dernières années ;
- si le taux de couverture en milieu urbain est plutôt bon dans les pays étudiés (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Turquie), le traitement de ces déchets est problématique. En effet, la destination principale reste la décharge sauvage, même si on observe une croissance du taux de déchets solides municipaux éliminés dans des décharges contrôlées qui atteint 35% au Maroc, à comparer avec la Tunisie où ce taux équivaut à 70% (SWEEP Net, 2014) ;
- enfin, alors même que la part des déchets d’origine organique représente en moyenne 60%, et laisse entrevoir un potentiel pour le compostage et la valorisation énergétique, peu d’efforts sont pour l’instant entrepris par les pays sud-Méditerranéens : en Tunisie, par exemple, le compostage n’excède pas 5%. 

Source de l'article IPEMED

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