Décrypter les enjeux de la COP21 pour les Tunisiens

Résultat de recherche d'images pour "http://www4.unfccc.int/   Tunisie"Les Tunisiens face au changement climatique : alternatives et mobilisations

Mi septembre, la Tunisie a transmis le document qui synthétise sa contribution par rapport au changement climatique à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques[1]. 

Elle y annonce des mesures en terme d’adaptation et d’atténuation, notamment son ambition de baisser son intensité carbone de 41% en 2030 par rapport à l’année de base 2010, surtout dans le secteur de l’énergie. « L’intensité carbone est calculée comme étant le rapport entre le total des émissions de gaz à effet de serre (exprimées en tonnes-équivalent CO2) et le PIB à valeur constante 2005. » Cet objectif ne concerne donc pas directement une baisse d’émissions : si le PIB augmente, l’objectif de réductions est donc moindre. En outre, il est conditionné à d’importants soutiens financiers internationaux… Des mesures générales sont énoncées pour différents secteurs, mais non détaillées.

Mais le gouvernement tunisien n’est pas seul à essayer de faire face au changement climatique et à ses impacts. Des individus, des associations, des organisations prennent également des initiatives pour lutter contre le changement climatique et ses racines. Un petit aperçu…

Replanter 

Le village d’El Krib, dans les environs de Siliana, est surplombé d’une colline sur laquelle l’État a entrepris des actions de reboisement à l’initiative de l’ingénieur agronome Mohamed Ali Ferchichi Ainsi il y a vingt ans, deux espèces ont été plantées : des acacias et des pins d’Alep. A la différence des acacias qui n’ont pas survécu, les pins d’Alep sont restés, mieux adaptés au milieu : ils composent la forêt voisine, plus ancienne. « Les racines des pins d’Alep secrètent un acide qui détruit la roche calcaire », explique Mohamed Ali Ferchichi. Pendant l’époque coloniale, les Français avaient planté des oliviers sur la pente, qui n’ont pas pu s’épanouir et produisent très peu d’olives.

Les pins d'Alep d'El Krib
Grâce au reboisement, le sol est devenu plus riche en matière organique et de petits buissons de thym et de romarin ont poussé à l’ombre des pins. Leurs racines empêchent l’érosion du sol et retiennent l’eau, en entravant son écoulement direct le long de la pente, ce qui permet à la nappe d’eau souterraine de se régénérer plus facilement. Mohamed Ali Ferchichi déplore que cette initiation étatique soit parfois mise à mal par une partie de la population : des habitations ont été construites sur les flancs de la colline juste après 2011 – quand l’État est apparu plus faible, sans permis ni raccordement aux réseaux d’eau. Les animaux ont brouté les buissons à cet endroit, et les habitants ont endommagé les arbres pour constituer du bois de chauffe. Ces réactions illustrent les limites des approches descendantes (top-down), qui ne tiennent pas toujours compte des besoins primaires de la population et reposent sur la force de l’État, et non pas sur l’adhésion des habitants locaux.[2]

Ras El oued, site restauré par l’Association de
Sauvegarde de l’Oasis de Chenini (ASOC)
A Gabès, à quelques kilomètres de la zone industrielle, où se trouve un important complexe chimique de transformation du phosphate, et de la cimenterie, très polluantes et très accapareuses d’eau, une association, l’ASOC, tente de sauvegarder l’oasis de Chenini. Depuis quinze ans, elle développe des projets pour redonner vie à des parcelles, en agriculture biologique, préserver les espèces locales, conduire des travaux de conservation du sol et de l’eau. Ainsi, l’association a mis en place une station de compostage, a restauré des sites et a créé un jardin de la biodiversité, en collaboration avec les Groupements de Développement Agricole et en embauchant des ouvriers locaux. Elle mène aussi des actions de plaidoyer pour lutter contre les menaces qui pèsent sur les oasis, notamment le manque d’eau.[3]

De nombreux Tunisiens sont convaincus de l’importance d’une agriculture qui utilise moins d’intrants, respectueuse de la santé et de l’environnement. Parmi eux figurent ceux qui s’investissent dans des projets de permaculture, qui se sont regroupés dans une association. Ils s’échangent conseils et encouragements, organisent des formations, des chantiers. Par l’exemple, ils insufflent l’idée qu’une agriculture naturelle est productive, à condition de prendre en considération les dynamiques des écosystèmes et de valoriser la biodiversité.[4]

Recycler 

El Mensej est une entreprise sociale qui accompagne les artisans dans la commercialisation de leurs produits, notamment des tapis fabriqués à partir de fripes. L’initiative est de Mehdi Baccouche, qui travaille aussi au Lab’ESS (Laboratoire d’Économie Sociale et Solidaire) Elle permet à un groupe de femmes de Nefta, qui ont appris à tisser des tapis depuis leur plus jeune âge, notamment à l’occasion des mariages, de trouver un accès direct à une clientèle basée principalement en Tunisie. Elles peuvent ainsi avoir un revenu plus conséquent et valoriser un savoir-faire qui est peu à peu délaissé.

Le projet El Mensej
Ce sont elles qui ont eu l’idée de remplacer la laine par des vêtements des fripes détricotées : ça coûte moins cher et rend l’entretien des produits plus faciles. Ensuite, l’utilisation d’une matière première recyclée devient un argument marketing… Cet exemple suggère que l’innovation n’est pas l’apanage des ingénieurs, et qu’on peut trouver dans des savoir-faire traditionnels, qui se sont construits au sein d’une économie de la rareté, les moyens de réduire les besoins en énergie et en matériaux. Cela est indispensable pour atténuer le changement climatique.[5]

Inventer 

En 2007, alors qu’il était encore étudiant, Hamdi Hached a eu l’idée, en observant la prolifération d’une algue invasive dans le golfe de Gabès, de produire de l’énergie à partir de cette énorme biomasse. Il n’a trouvé que 3 études sur internet, desquelles il s’est inspiré pour réaliser des expériences. Les 16 premières n’ont pas fonctionné. Mais la dix-septième à produit du gaz inflammable. Il a alors déposé un brevet, qui n’a pas intéressé les institutions tunisiennes. Il l’a ensuite proposé à une fondation du Qatar, qui l’a acheté. Il existe un potentiel en Tunisie pour la bioénergie : produire des biocarburants à partir de l’huile usagée des restaurants, du biogaz à partir des déchets organiques, etc. Mais il faudrait que ces initiatives soient appuyées par une volonté politique.[6]

Les mobilisations 

Alors que le rendez-vous de la COP21 approche, les Tunisiens continuent de se mobiliser.

Fin août, une caravane du climat s’arrêtait dans quatre villes tunisiennes pour sensibiliser sur le changement climatique. (Action2015, réseau We love)

Des ateliers sur le climat rassemblaient des jeunes pour comprendre les enjeux de la COP21 et les impacts du changement climatique.(Réseau Alternatif de Jeunes de Tunisie / RAJ-T)





Le 18 septembre, l’événement Montrer la voie invitait la population à se préoccuper des questions du climat, de la pauvreté et des inégalités. (Action2015, RAJ-T, réseau We love, Debate)

Entre le 25 et le 30 septembre, une série de projections débats sur le gaz de schiste était organisée dans les régions concernées par cette menace pour entretenir la mobilisation contre le fracking. (Observatoire Tunisien de l’Economie et partenaires)

  

Des jeunes femmes tunisiennes se rassemblaient pour revendiquer la justice climatique. (APEDDUB)

Par Diane ROB - Source de l'article Mediapart

[2]  Informations recueillies lors de la visite d’El Krib le 25/08
[3] Informations recueillies lors de la visite de Chenini, entretiens avec Khawla HADJ MOHAMED, Sami BADROUCHI en avril 2015
[5] Informations recueillies lors d’un entretien avec Mehdi Baccouche, le 16/09https://www.facebook.com/elmensejnefta/timeline
[6] Informations recueillies lors d’un entretien avec Hamdi Hached, le 11/08

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