Comment l'Égypte veut renouer avec la modernité et... l'Europe

Avec l'inauguration du nouveau canal de Suez, le 6 août dernier, l'Égypte, affiche sa volonté de rattraper le peloton des pays émergents, et veut le faire savoir. Il était donc essentiel que le monde entier ait les yeux rivés sur cet événement, dont François Hollande fut l'invité d'honneur, en hommage au rôle de la France dans la percée du premier canal de Suez (1869). 

Ce qui est ainsi affirmé, c'est la volonté de renouer le fil avec un moment de l'Histoire où l'Égypte était totalement orientée par sa volonté de développement, vers l'Europe et la modernité. 

Alfi Malek, président de l'association Demeter, vice-président de l'association AEMDDE
Alfi Malek, président de l'association Demeter, vice-président de l'association AEMDDE (Crédits : Alfred Mignot)
Avec une population de 90 millions d'habitants, très jeune dans sa grande majorité, et une cohésion nationale désormais prouvée - les bons spéciaux destinés au financent du nouveau canal et réservés uniquement aux Égyptiens ont été massivement souscrits -, et confortée désormais par la fierté d'un succès national à tous points de vue*, l'Égypte représente un potentiel de croissance très significatif.

C'est dans cette perspective qu'il faut décrypter la symbolique de la cérémonie, rappelant un moment de l'Histoire - celui du mouvement intellectuel réformiste Nahda (renaissance) de la seconde moitié du XIXe siècle - où l'Égypte était totalement orientée dans sa volonté de développement, vers l'Europe et la modernité. Un "moment" interrompu par l'avidité du capitalisme de l'époque, mettant à mal la finance égyptienne, ensuite par la période colonialiste britannique, qui dura 82 ans et se termina par l'arrivée des Officiers libres, et par Nasser.

Cette volonté de retisser symboliquement les fils brisés de l'Histoire s'est aussi exprimée par le choix de l'Opéra du Caire d'interpréter l'Aïda de Giuseppe Verdi lors la cérémonie d'ouverture, sous la conduite du célèbre musicien Omar Khairat, dirigeant environ 1000 artistes et musiciens. Un clin d'œil évident, l'Aïda - dont l'histore se déroule dans l'Égypte des Pharaons - ayant été interprété pour la première fois au Caire en 1871, deux ans après la cérémonie d'inauguration du Canal de Suez.

Mais, la cérémonie du 6 août aura aussi été l'occasion d'annoncer des projets tout aussi importants que la percée du nouveau Canal.

De nouveaux projets pour une nouvelle Égypte

« L'Egypte a besoin de reconstituer son tissu industriel et de régénérer son agriculture après ces nombreuse décennies d'une économie libérale dévastatrice. Comme la Chine, l'Égypte doit éviter le piège du libéralisme à outrance » a déclaré sur RFI Samir Amin, économiste franco-égyptien, président du Forum mondial des alternatives.

Ainsi, le développement de la zone du Canal de Suez conduira à la création de six nouveaux tunnels pour relier la presqu'île du Sinaï et ses différents gouvernorats. Trois tunnels seront percés à Ismaïlia (deux pour les véhicules et un pour le chemin de fer), et trois autres tunnels à Port Saïd, afin de créer une importante zone économique, industrielle et commerciale longeant le Canal. Dans l'ensemble, on espère créer ici plus d'un million de nouveaux emplois.

Parmi les autres projets annoncés le 6 août : un vaste réseau de routes nationales, la création de nouveaux aéroports et villes - dont celle, déjà annoncée, de nouvelle capitale administrative entre Le Caire et Suez, pour un investissement cumulé de 43 milliards d'euros sur sept ans - le traitement des eaux usées, la mise en œuvre d'un projet national pour l'élevage de poissons dans la zone du canal.

Éradiquer le terrorisme, la grande priorité

Mais avant tout, l'Égypte mène un combat sans merci contre les forces islamistes installées dans la zone Nord du Sinaï. Le 1er août, "Les forces armées égyptiennes ont éliminé Selimane Selim El Haram, l'un des dirigeants les plus importants de l'organisation terroriste Ansar al Beit Maqdis, à Sheikh Zoweid"dans le nord du Sinaï, selon le porte-parole militaire égyptien Mohamed Samir.

Les succès remportés par l'armée égyptienne dans ce domaine contribuent à affaiblir fortement les groupes installés dans le Sinaï durant la période du gouvernement de Morsi, protégeant les citoyens, dans leur vie quotidienne, rassurant aussi les investisseurs et le tourisme, qui revient progressivement.

L'avenir de l'Égypte se fera avec l'Europe... et la France

Infrastructures, agriculture, Industrie, tourisme, santé, éducation... Le chantier qui s'ouvre est particulièrement vaste. Lors de la conférence économique de Sharm El Sheikh d'avril dernier, un ensemble de projets évalué au bas mot à 300 milliards de dollars avait été annoncé, comportant notamment la réalisation de la nouvelle capitale administrative.

L'Europe prépare sa contribution dans le cadre de la révision en cours de sa politique de voisinage (PEV, qui devrait être finalisée à l'autome), par une approche globale embrassant un ensemble de secteurs comprenant l'éducation, la santé, les Droits de l'Homme, l'énergie et l'environnement.

L'Égypte a besoin pour sa part d'accélérer le pas de ses réformes et de ses projets.

Une priorité : l'énergie, dont la pénurie se fait sentir tous les étés, amenant le gouvernement à appliquer un tarif de rachat avantageux pour une puissance de 4300 MW en énergies renouvelables, solaire et éolien.

Encourager les PME françaises à s'investir dans ce marché revient à tisser des liens entre les entreprises et les compétences des deux pays. C'est ce qu'a pu réussir, par exemple, le Pôle de compétences régionales Derbi (« Développement des énergies renouvelables en industrie et dans le bâtiment ») avec l'association Ieder (« Institut méditerranéen des énergies renouvelables », en développant des relations étroites avec la Tunisie, le Maroc et la Jordanie. Il convient donc de mener des actions similaires avec l'Égypte, et d'encourager la création d'un pôle équivalent de développement local. Les compétences égyptiennes ne manquant pas ; un tel projet est en cours de préparation.

Quelles pistes pour financer les projets ?

Cela étant, la problématique se pose essentiellement au niveau des financements. Hormis quelques centrales en solaire photo-voltaïque, financées par les Émirats Arabes Unis, ou par l'Arabie saoudite, les projets semblent manquer de crédits, et surtout de mécanismes financiers adaptés : les financements disponibles localement sont chers, inadaptés à des projets par ailleurs viables.

Dans la mesure où l'Égypte peut représenter un vaste marché pour les entreprises européennes et françaises en particulier, l'Europe aura tout intérêt à contribuer à la solution de ces problèmes, et aussi à venir en appui aux entreprises souhaitant investir le marché égyptien, fortement demandeur.

On ne peut ainsi que déplorer que les mécanismes d'accompagnement du projet de fondation AREAS, destinés au financement de projets allant entre 5 et 50 millions d'euros, n'aient toujours pas vu le jour. Cela dit, on pourrait imaginer des mesures d'incitation, notamment fiscales, pour encourager l'investissement dans des projets économiquement rentables, et dans lesquels des entreprises européennes sont engagées. Le modèle de financement du Canal de Suez par des apports locaux* est aussi une bonne source d'inspiration, et peut être répliqué, tant que l'État apportera sa garantie.

Rattraper les rendez -vous manqués

L'Égypte semble enfin déterminée à relever l'ensemble des défis qui se présentent à elle simultanément. Le temps presse ! Face à une crise économique qui n'aura que trop duré, et une frange importante de la population vivant sous le seuil de la pauvreté, fragilisant l'ensemble de la société, l'Égypte choisit d'accélérer son développement et d'éradiquer la pauvreté. Sans cela, l'Égypte risque de basculer dans le chaos entraînant l'Europe dans une zone d'instabilité, menacée par un flux d'émigrés égyptiens démunis, et désespérés. Mais engagée dans la voie du développement durable, l'Égypte peut contribuer rapidement au développement économique pour l'ensemble de la région méditerranéenne.

Il serait grand temps de rattraper les rendez vous manqués, et de compter avec un pays dans la force de l'âge, affichant une volonté de réussite sans précédent, dans un nouvel esprit gagnant-gagnant, et auquel la diaspora égyptienne en Europe peut apporter une contribution significative, durant cette période cruciale de transition économique et sociale.

*Le nouveau Canal percé en une seule année, une réussite 100 % égyptienne

Annoncé le 5 Août 2014, le défi de la percée d'un nouveau canal en une seule année aura donc été gagné : avant l'inauguration de ce 6 août 2015, la nouvelle voie d'eau fut testée par avec succès par trois navires géants, le 25 juillet.

Sa réalisation était justifiée par l'augmentation croissante du fret mondial. Entre 2000 et 2010, la quantité de fret transportée par mer dans le monde est passée d'environ 6 milliards de tonnes à 8,5 milliards de tonnes. Une évolution qui se poursuit depuis, poussée par le développement économique global et les phénomènes de délocalisation mondiale de la production. Selon les prévisionnistes, le volume de fret transporté doublerait entre 2005 et 2025.

Cela se traduirait par un accroissement des revenus du Canal de Suez, actuellement de l'ordre de 5 Milliards de dollars, à 13 milliards en 2025.

Ces travaux permettent de réduire de moitié le temps de traversée du canal de Suez, qui passe de 22 heures à onze heures seulement. Ils auront coûté environ sept milliards et demi d'euros, obtenus grâce à la vente, par la Banque centrale de bons spéciaux réservés uniquement aux Égyptiens.

Ces bons rapportent du 12 % par an et ont été couverts à 110 % en moins d'une dizaine de jours. « C'est un très grand projet et le fait qu'il soit réalisé par les Égyptiens - entre autres par l'armée égyptienne et par des compagnies principalement égyptiennes, associées mais sous-traitantes du projet d'État - est une très grande chose », a relevé sur RFI Samir Amin, économiste franco-égyptien, président du Forum mondial des alternatives.

Par Alfi Malek (Président de l'association Demeter, vice-président de l'association AEMDDE.) - Source de l'article La Tribune

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