Le Maroc, hub eurafricain, au cœur de l’émergence

L’Afrique est, aujourd’hui, l’objet de toutes les attentions. C’est notamment le cas des pays européens dont la croissance est en berne. 

Le président malien Ibrahim Boubacar Keita avec le roi du Maroc Mohammed VI, à Bamako le 18 février 2014.Malgré les crises économiques et financières mondiales qui obèrent l’optimisme des citoyens africains et européens, victimes des soubresauts de ces crises depuis 2008 ; malgré les menaces terroristes qui touchent aveuglément autant les habitants des rives nord que ceux du sud de la Méditerranée ; malgré les épidémies meurtrières qui ne connaissent ni frontière, ni ligne Maginot ; malgré les asymétries du développement structurel et humain qui sévissent encore dans plusieurs pays parmi les 54 que compte le continent africain, celui-ci affiche des taux de croissance compris entre 5 % et 6 % de manière constante depuis plus de cinq ans.
La France rêve, elle aussi d’Afrique. La « grand-messe » du vendredi 6 février dernier, pour lancer la Fondation Afrique-France pour la croissance, sous la houlette du Béninois Lionel Zinsou, témoigne de l’activisme de la France pour redonner le goût de l’Afrique aux entreprises françaises et convaincre l’opinion publique française que l’avenir de la France est irrémédiablement lié à celui de l’Afrique. Cependant, les stratégies africaines ne sont plus l’apanage exclusif des pays européens, de la Chine, de l’Inde ou encore des Etats-Unis d’Amérique. Elles sont aussi le fait de pays africains eux-mêmes, tels que l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Maroc.

Le Maroc, dont le premier partenaire commercial est la France, peut ainsi espérer une croissance annuelle de 4,4 % en 2014. Les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile, de l’agroalimentaire, font du « Maroc bleu » – eu égard aux formidables richesses halieutiques que lui procurent ses milliers de km de côtes atlantiques et méditerranéennes – et du « Maroc vert » – gage pour l’émergence d’une solide économie verte dans le royaume chérifien –, forte de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), d’un côté, et de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), de l’autre, font du royaume chérifien un nouveau pôle d’attractivité, tant pour l’Europe que pour l’Afrique.

Le Maroc est ainsi devenu le premier investisseur africain dans les zones de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont les volumes d’échanges commerciaux ont doublé en quatre ans. Il en sera question à l’occasion de la rencontre entre François Hollande et le roi Mohammed VI, prévue, lundi 9 février, sur fond de relance de la coopération bilatérale en matière de justice.

La visite « privée » de Mohammed VI, qui fut le premier des chefs d’Etat reçu à l’Elysée par François Hollande, le 24 mai 2012, revêt un caractère d’importance, compte tenu de la brouille qui se prolonge depuis « l’affaire Hammouchi », du nom du patron du contre-espionnage marocain, convoqué, en février 2014, par un juge d’instruction français, sur fond d’accusation de torture. Il est d’autant plus important de réaffirmer l’importance du lien entre Paris et Rabat, que la coopération en matière antiterroriste risque d’en pâtir.

Sur le volet de l’économie, le climat semble nettement plus favorable à un dialogue fructueux et mutuellement bénéfique. La croissance atone et la crise économique prolongée, en Europe et aux États-Unis, ont ainsi poussé plusieurs Africains tels, que le Maroc à diversifier leurs partenaires commerciaux (Afrique de l’Ouest, BRICS, Turquie, pays du Golfe et du Moyen-Orient) et à forger une nouvelle attractivité économique, davantage tournée vers le Sud, opérant ainsi une réelle rupture avec leurs stratégies antérieures centrées sur l’attraction des IDE du Nord.

Le Maroc tourné vers l’Afrique

Le Maroc développe du reste, depuis plusieurs années, une politique africaine ambitieuse à plusieurs niveaux, en misant sur une connaissance plus fine des besoins de développement socio-économiques de ses partenaires africains, notamment ceux de son voisinage méridional sahelo-saharien. Au niveau politique, le roi du Maroc, Mohammed VI, le premier ministre Abdelilah Benkirane, et l’ensemble des membres du gouvernement, attestent ainsi d’une volonté politique affirmée visant à conforter la position du Maroc en tant que puissance régionale géostratégique ouverte sur l’Europe, mais aussi et de plus en plus sur son environnement africain immédiat avec lequel il peut partager son expérience en matière de réformes institutionnelles, d’approfondissement des processus de décentralisation et de régionalisation et de réponses endogènes aux questions de développement.

Un panneau publicitaire dans Abidjan présentant le roi du Maroc,
Mohammed VI, et le président ivoirien, Alassane Ouattara. Crédits : REUTERS

Au niveau diplomatique et sécuritaire, les récentes initiatives engagées en direction du Mali, du Sénégal, de la Mauritanie, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, notamment dans le cadre d’une diplomatie d’influence « souple », mélangeant diplomatie économique et diplomatie religieuse, atteste d’une réelle stratégie « inclusive » dont l’ambitieux programme de formation de 500 imams maliens au Maroc, initié en novembre 2013, n’est qu’un des nombreux aspects. Le Maroc, dont la présidence de la CEN-SAD (communauté des Etats sahélo-saharien, réunissant depuis 1998 28 États) en 2013, fut remarquable à cet égard. Rabat, se confirme, en effet, être un pôle de stabilité, propre à servir de potentiel médiateur des crises qui obèrent la sécurité méridionale du Maghreb, comme elle l’a démontré, du reste, à travers la rencontre entre le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Acherif et Mohammed VI, à Marrakech en février 2014. Les atermoiements et écueils auxquels les pourparlers d’Alger – réunissant sous l’égide de la diplomatie algérienne, de l’UA et des Nations Unies, tous les belligérants maliens – se trouvent, pourraient ainsi faire le jeu à l’avenir de Rabat.

Une diplomatie économique africaine ambitieuse

Au niveau économique, il convient de rappeler que le Maroc a annulé la dette des pays africains les moins avancés et exonéré des droits de douane leurs produits sur son territoire. Des conventions de coopération technique, culturelle ainsi que plusieurs accords commerciaux ont permis d’intensifier les échanges et les investissements jusqu’à conférer au Maroc la position de second émetteur d’IDE africains en Afrique après l’Afrique du Sud. Les stratégies déployées par les grands opérateurs économiques marocains, tels que l’Office chérifien des phosphates, la banque Attijariwafabank, la compagnie aérienne – Royal Air Maroc (RAM) –, les groupes immobiliers, les groupes pharmaceutiques et les groupes de presse pour ne citer que ces secteurs, en pleine croissance, attestent de la percée réelle et significative des entreprises marocaines sur les marchés africains.

L’Afrique est désormais un élément constitutif de la diplomatie économique du Maroc qui allie la confortation des parts de marchés du Maroc en Afrique à la prise en compte des besoins spécifiques des pays africains partenaires. De nouvelles opérations de « triangulation » intelligentes sont également le fait d’entreprises mondiales et françaises, notamment, qui capitalisent sur les atouts du Maroc pour en faire une plate-forme et une base de production pour leur « entrée » sur le marché africain.

Enfin, le Maroc a adopté une politique migratoire qui a permis la régularisation de nombreux ressortissants subsahariens. Ce recours à la régularisation permet ainsi d’allier perspective économique et sécurisation humaine, permettant de juguler autant que faire se peut une migration hasardeuse, qui met avant tout en péril la vie de milliers d’individus. En comparaison, la politique de la France, notamment en matière d’octroi des visas, en premier lieu en direction trop exclusive des seuls chefs d’entreprises, constitue un vrai frein à la libre circulation des hommes et des capitaux venus d’Afrique, ayant comme corollaire de marginaliser les autres, perçus, de facto, encore comme douteux et suspects.

En définitive, il ne s’agit pas d’opposer les stratégies, de part et d’autre, de Mare Nostrum, voire de distribuer les bons et les mauvais points entre nos deux rives, séparées – faut-il le rappeler que de 14 km –, mais de constater l’attrait pérenne du marché africain pour le Maroc et la France. Il ne s’agit rien d’autre que de prendre en compte la nécessite d’œuvrer à une mutuelle « profondeur stratégique ». L’enjeu est de taille : celui de bâtir une région intégrée à échelle mondiale, liant Europe- Méditerranée-Afrique, dans laquelle chaque partie retrouve sa centralité et sa singularité tout en n’oubliant pas l’importance du sens collectif.

L’économie mondiale et la globalisation démontrent d’ailleurs que seules les régions mondiales intégrées telles que l’Alena et le Mercosur, sur le continent américain, ou l’Asean en Asie, peuvent prétendre à un développement équilibré et une croissance durable et solidaire entre ses membres. Dans ces sous-ensembles régionaux, le niveau de développement inégal n’est pas un handicap mais bel et bien un atout, à travers duquel les partenaires acceptent de partager la valeur ajoutée et ce, afin de créer durablement des emplois et assurer un développement soutenu. Feu le roi Hassan II du Maroc, le rappelait d’ailleurs à bon escient : « La relation entre nos deux continents est à l’image d’un arbre dont les racines seraient en Afrique et la cime en Europe »

Par Amel Chevreau, directrice des études et coordinatrice de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen, et Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE)

Source de l'article Le Monde

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