Jacques Attali: « Investir oui, mais investir intelligemment en Méditerranée »


Durant les 14es Rencontres économiques d'Aix en Provence du 4 au 6 juillet 2014, 200 acteurs économiques, politiques et académiques internationaux se sont frottés au jeu des conférences et des débats autour d'un même refrain : l'investissement. 

Pour Econostruminfo, Jacques Attali évoque les opportunités et les challenges des investissements en Méditerranée.

Jacques Attali sous le soleil des Rencontres Économiques d'Aix en Provence (photo A. Jousset)

L'économiste, écrivain et haut fonctionnaire français, Jacques Attali, est formel : seul l’investissement intelligent" pourra soutenir le développement économique de la Méditerranée. Premier président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), il était également à la tête de la Commission pour la libération de la croissance française. Il dirige actuellement PlaNet Finance, une organisation internationale pour la lutte contre la pauvreté à travers le développement de la microfinance. 

Econostrum.info : Crise économique dans le nord, instabilité politique dans le sud, les deux rives de la Méditerranée ne sont pas épargnées par les difficultés. Pour le Cercle des Économistes, l'investissement est l'avenir du redressement économique, notamment dans ces pays. Qu'en pensez-vous ? 

L’investissement est essentiel, c’est la préparation de l’avenir d'un pays, quel qu'il soit. La réelle question à se poser est de savoir de quel investissement on parle. S'il s’agit de créer des résidences pour les oligarques et de dépenser l'argent inutilement, ce n’est évidemment pas intéressant. Par contre si l’investissement passe dans l’éducation, la recherche, les universités ou encore dans les entreprises rentables, alors là c’est différent. 

Quelles recommandations apporteriez-vous aux gouvernements des pays du sud afin de renforcer l'investissement ? 

Pour ma part, je recommande aux pays du sud de mieux garantir la règle de droit, de créer un environnement juridique stable, d’avoir moins de corruption, de disposer de règles strictes et de les appliquer et de les garantir auprès des citoyens. 

D'où doit venir l'investissement pour le Maghreb ? Doit-il venir des pays du nord, des pays arabes (comme le Qatar) ou doivent-ils se prendre eux-même en charge ? 

Ce sont aux pays du Maghreb de se prendre en charge. Pour cela, ils doivent mobiliser l'épargne des citoyens et utiliser correctement leurs argents. Lorsque l'on voit les revenus faramineux de certains pays, issus de la manne pétrolière principalement, et qui ne sont pas utilisés à bon escient, c'est un vrai gâchis. 

Par ailleurs, ces mêmes pays doivent aussi créer l’environnement pour attirer l’investissement étranger et les talents. Ils doivent gagner cette bataille.


"La BERD n'a rien à faire en Méditerranée"La microfinance fait-elle partie des solutions à apporter pour l’investissement ? 

Elle est fondamentale, car elle permet aux gens très modestes d’investir. La microfinance donne des outils pour investir pour les plus pauvres. Elle est fondée sur le fait de faire confiance aux gens. C'est une manifestation de la confiance en l’avenir. 

Quel est l'état de la microfinance dans les pays du sud de la Méditerranée ? Existe-t-il des pays plus performants que d'autres ? 

Le Maroc. Ce pays reste un des pays les plus performants en terme de microfinance. Ceci grâce à ses quinze années d'expérience. Ses erreurs ont été réparées, le pays s'est doté d'institutions nombreuses en ce sens et de nombreuses règlementations vont en faveur de celle-ci. De plus, la Banque centrale y est impliquée, ce qui n'est pas le cas de l'Algérie et de la Tunisie notamment. Il demeure néanmoins quelques excès en terme de microfinance comme le surendettement qui reste de mise dans le Royaume. 

PlaNet Finance, Créa-Sol, les organismes en faveur de la microfinance se multiplient... Nous sommes sur la bonne voie ? 

Oui, c'est positif, cependant il faut continuer à développer et professionnaliser les institutions spécialisées dans la microfinance. 

Comment travaille PlaNet Finance avec les pays du sud de la Méditerranée ? Quelles sont ses ambitions ? 

Nous travaillons dans quatre-vingt-huit pays, nous avons développé plusieurs institutions spécialisées dans onze pays. PlaNet Finance gère un fonds d'investissement d'un milliard d'euros pour six millions de personnes dans le monde. Actuellement, nous sommes en train d'ouvrir une nouvelle institution de microfinance en Tunisie. 

La Banque Européenne d'Investissement (BEI), à travers la Facilité Euro-Méditerranéenne d'Investissement et de Partenariat (FEMIP), octroie des prêts aux pays du sud de la Méditerranée. Mais depuis peu, la BERD, dont vous avez été le premier président, vient sur ce terrain, est-ce une bonne chose ? 

J’ai toujours été contre cette initiative. La BERD a compétence pour intervenir en Europe de l'Est alors que la BEI est très bien placée pour aider les pays du sud de la Méditerranée. Idéalement, il aurait fallu créer une banque pour la Méditerranée. L'incapacité de la construction d'une institution spécifique a conduit à l'ingérence de la BERD dans les pays du sud de la Méditerranée, mais pour moi elle n'a rien à faire là. 

Pourrait-on penser, avec l'Union pour la Méditerranée, à créer une commission pour la libération de la croissance méditerranéenne à l'image de celle que vous avez animé pour la croissance française ? 

Bien que la mise en place d'une commission soit une bonne méthode, il faut savoir que chaque pays est différent. Il est préférable de regarder pays par pays, car la conjoncture reste singulière pour chacun.

Propos recueillis par Astrid Jousset - Source de l'article Econostruminfo

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