Politique de santé et du médicament au Maghreb : Quels enjeux ? Quelle stratégie pour quelles filières ?


Dans le cadre des petits déjeuners de la Méditerranée et à  l’occasion de la publication d’un rapport sur Le marché Maghrébin du médicament, (collection Construire la Méditerranée, IPEMED, 2013),  IPEMED a organisé, le jeudi 22 mai, avec le soutien de l’Ambassade de France au Maroc, une rencontre consacrée à la politique de santé et du médicament au Maghreb. 

Sont intervenus à cette occasion Mohammed Zerhouni, auteur du rapport, Stéphanie Lanfranchi,  Head of Manufacturing, Agribusiness & Services Division, Proparco - Groupe Agence Française de Développement et Sélima El Ghali Krichen, responsable Production du Groupe Pharmaderm (Tunisie). Les débats étaient animés par Amal Chevreau, responsable du pôle production d’IPEMED et ont été introduits par S.E. M. Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Maroc en France et Jean-Louis Guigou, Délégué général d’IPEMED. 

Contexte 
Les trois pays du Maghreb central doivent faire face à des défis très importants en matière de santé et d’accès aux soins. Transitions sanitaire, épidémiologique, et plus récemment transition démocratique propulsent les problèmes de santé au rang des priorités politiques de la région. Face à ces défis, les moyens, notamment financiers, sont en décalage, puisque la dépense nationale de santé dans les trois pays du Maghreb central est estimée à moins de 400 dollars par habitants et par an (contre 6 à 10 fois plus dans les pays de l’OCDE).  La part du médicament est quant à elle estimée à moins de 80 dollards/hab/an. 
Pour les relever, les pays du Sud de la Méditerranée doivent repenser leurs systèmes de santé et développer des programmes sanitaires réalistes. Ils doivent également mettre en place une politique du médicament pertinente, qui tienne compte des besoins de santé de leurs populations, des moyens disponibles, qui exploite les complémentarités existantes entre les pays du Maghreb et profite de coopérations privilégiées avec les pays du Nord. Quels sont les enjeux pour la région ? Quelle stratégie du médicament mettre en place ? Quelles filières nationales, voire maghrébines pourraient être développées pour assurer un meilleur accès aux soins de qualité au moindre coût pour les populations ? 

Compte rendu 
Introduisant la rencontre, Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Maroc en France, a rappelé que les systèmes de santé étaient au cœur des politiques publiques du Maghreb et tout particulièrement du Maroc. Le Conseil économique, social et environnemental du Royaume du Maroc a été saisi pour établir un rapport sur les soins de santé de base, duquel il ressort que l’accès aux médicaments est une nécessité absolue. Trop chers, leur consommation annuelle est faible au Maroc, estimée à 500 dirhams (44€) par personne et par an, 53% des dépenses de santé étant supportées par les ménages. 
Aux côtés du secteur public, des associations et fondations se mobilisent, à l’image de la fondation Lalla Salma, par exemple, très active dans la lutte contre le cancer. 

Jean-Louis Guigou remercie l’Ambassadeur du Maroc d’avoir accepté d’accueillir cette rencontre, qui inaugure en quelque sorte un nouveau cycle de petits déjeuners de la Méditerranée, non plus comme par le passé à la Closerie des lilas, mais dans les ambassades. Une manière pour IPEMED de sensibiliser les autorités des différents pays de la région aux idées défendues par le think tank. 

Mohamed Wadie Zerhouni, auteur pour IPEMED d’une étude sur le marché maghrébin du médicament, rappelle que la problématique du médicament est assez proche dans les trois pays du Maghreb. Le secteur pharmaceutique dans les pays du Maghreb est en pleine évolution. Même si l’organisation et le développement sont différents d’un pays à l’autre, les trois pays ont réussi, en peu d’années, à développer une industrie pharmaceutique qui leur permet aujourd’hui de couvrir une grande partie de la consommation locale. C’est au Maroc où les résultats les plus significatifs en termes de couverture nationale et d’exportation sont observés. L’industrie pharmaceutique, portée en grande partie par le secteur privé, permet aujourd’hui d’assurer la couverture de 65% des besoins du marché national (contre 49% en Tunisie et 30% en Algérie) et exporte vers les pays d’Afrique, du Moyen- Orient et d’Europe.

L’industrie pharmaceutique marocaine et tunisienne respecte les normes internationales, alors que l’Algérie applique essentiellement des normes et standards locaux.

Par ailleurs, le marché du médicament dans les trois pays du Maghreb est fortement réglementé. Les trois pays disposent de procédures en matière d’enregistrement, de distribution et de contrôle, ainsi qu’un système d’achat de médicaments centralisé qui est assuré par les pharmacies centrales.

De plus, les pays du Maghreb encouragent la production locale du médicament générique dans une optique de baisse des coûts des soins et de meilleur accès au médicament. Cependant, malgré les différentes mesures menées pour favoriser leur fabrication (politiques de fixation des prix, d’exonération de la TVA, de réduction des droits de douanes), le développement des médicaments génériques reste limité, surtout devant la dépendance de l’industrie pharmaceutique de l’étranger pour l’approvisionnement en matières premières.

Autre problème soulevé, celui relatif à l’absence d’activité de la recherche et d’innovations technologiques, notamment en Algérie. Le Maroc et la Tunisie ont mis en œuvre des mesures juridiques et financières pour promouvoir la recherche et le développement.

Pour développer une plus grande intégration du marché du médicament et de la filière de production à l’échelle maghrébin, des exemples d’intégration sont relatés concernant :

-    l'achat en commun des médicaments et de vaccins : expérience qui remonte aux années 80 et qui constitue le résultat des efforts de coopération entre les États membres de l’Union du Maghreb Arabe (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie) ;
-    l’harmonisation des procédures d’enregistrement et d’obtention des autorisations de mise sur le marché (AMM) et de leur reconnaissance mutuelle par les pays du Maghreb, à l’instar du modèle adapté par les pays de l’Union Européenne (UE) et de celui des Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ;
-    la coopération en matière de production de médicaments pour faire face aux conséquences du développement des nouvelles maladies non transmissibles, améliorer la distribution des médicaments dans la région et renforcer son accessibilité à la population.

Enfin, sur la base des monographies pharmaceutiques des trois pays ainsi que les obstacles et les atouts liés à l’intégration des trois marchés, des recommandations sont proposées afin d'impulser le secteur pharmaceutique dans la région. Il s’agit notamment de :

-    mettre en place, au niveau régional, des organismes professionnels supranationaux susceptibles d’assurer une harmonisation de la réglementation de la procédure d’achat en commun des médicaments, des vaccins et des sérums ; de veiller à la bonne qualité des productions locales ; d’élaborer un plan de développement des infrastructures de base pour l’industrialisation des médicaments ;
-    mettre en place un secrétariat permanent afin d’assurer une coordination régionale pour les achats en commun de médicaments et un plus fort développement de l'industrie pharmaceutique ;
-    renforcer le lien entre les différentes facultés de pharmacies des pays maghrébins, les ordres des pharmaciens, les sociétés savantes et tous les professionnels du secteur pharmaceutique ;
-    harmoniser le cadre réglementaire d’enregistrement et de contrôle des médicaments et mettre en place un réseau de laboratoires de contrôle qualité ;
-    développer la coopération maghrébine en matière de production des médicaments (notamment des génériques) afin de pouvoir faire face à l’industrie pharmaceutique internationale ;
-    mettre en place une association indépendante des fabricants de médicaments afin que l'industrie pharmaceutique puisse bénéficier d'un espace d’échange scientifique, commercial et industriel au Maghreb ;
-    organiser des ateliers, des réunions et des séminaires sur les procédures d'harmonisation de l'enregistrement et du contrôle des médicaments.
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Sélima El Ghali Krichen, responsable Production du Groupe tunisien Pharmaderm expose l’expérience de son groupe, qui conçoit et produit en Tunisie des médicaments génériques depuis 25 ans. Les laboratoires Pharmaderm, sont une PME familiale, fondée en 1986, qui compte une cinquantaine d’employés. Elle s’est rapidement orientée vers une activité de développement galénique de produits cosmétiques. . 

La Tunisie protège le secteur en interdisant les importations de produits existant localement. En termes de développement, le groupe pharmaderm oriente sa production à l’export, notamment vers la Libye et la Guinée, le marché tunisien étant limité. La construction d’un nouveau site de production est en cours. Il s’agira de la première unité de production AFSSAPS en Afrique du Nord, destinée notamment à couvrir le marché africain, très demandeur de produits dermatologiques. 

Parmi les difficultés rencontrées en Tunisie, Sélima El Ghali Krichen souligne les délais d’obtention des AMM, qui peuvent aller de 2 à 3 ans et demi. Le développement d’un marché maghrébin du médicament serait évidemment une opportunité pour les acteurs du secteur, même si l’on n’est qu’au tout début du processus aujourd’hui.  

Stéphanie Lanfranchi, Head of Manufacturing, Agribusiness & Services Division du groupe Proparco, rappelle que le groupe Proparco est une institution financière de développement, conjointement détenue par l’Agence Française de Développement (AFD) et par des actionnaires privés du Nord et du Sud (organismes financiers français & internationaux, entreprises, fonds & fondations). La mission de Proparco est de favoriser les investissements privés dans les pays émergents et en développement en faveur de la croissance, du développement durable. Proparco finance ainsi des opérations économiquement viables, socialement équitables, soutenables sur le plan environnemental et financièrement rentables. Sa stratégie sectorielle, adaptée au niveau de développement des pays, se concentre sur le secteur productif, les systèmes financiers, les infrastructures et le capital investissement. Le rôle de Proparco est de démontrer par ses financements la viabilité des solutions privées dans des domaines novateurs ou dans des secteurs et régions jugés trop risqués par les investisseurs. 

Proparco est active dans les secteurs sociaux depuis près de 20 ans. Dans le domaine de la santé, le groupe soutient notamment l’accessibilité aux médicaments. A titre d’exemple, pour faciliter l'accès aux médicaments génériques en Tunisie, Proparco est entrée au capital d’Unimed, acteur régional de référence dans la production et la commercialisation de médicaments génériques. Ce financement permet de soutenir le développement et la modernisation de la production de médicaments génériques. 
Le groupe soutient aussi le secteur de la distribution du médicament, qui est un enjeu stratégique pour la région en particulier sur le front africain. Pour Stéphanie Lanfranchi, l’intégration maghrébine constitue également un enjeu très important. 

Au cours du débat, la question de la contrefaçon a notamment été abordée. Selon l’OMS, 50% des médicaments qui circulent dans le monde sont contrefaits. En Tunisie, comme au Maroc, la vente en ligne n’existe pas et le marché du médicament est très régulé. Le circuit légal, de la production à la distribution est sécure. Il existe en revanche un circuit illégal, notamment à la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Les Etats doivent lutter contre les contrefaçons. Cette lutte doit être inter-méditerranéenne. 

Amal Chevreau, responsable du pôle études d’IPEMED, concluant la rencontre, rappelle que la question de la santé a été placée en haut de l’agenda du dialogue 5+5. IPEMED a constitué un groupe de travail pour accompagner l’organisation future d’un 5+5 Santé. L’objectif des travaux menés par le groupe est d’arriver à instaurer une reconnaissance mutuelle des AMM, de mutualiser la procédure d’achats d’une liste de médicaments fixée conjointement et de favoriser les alliances entre les entreprises des trois pays afin d’accroitre leurs marges à l’export notamment vers l’Afrique. 

Par Stéphanie Lanfranchi - Source de l'article IPEMED

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