Diaspora maghrébine et intégration économique en Méditerranée : Enjeux, expériences, perspectives.


IPEMED a organisé, au Sénat, le jeudi 15 mai 2014 un colloque consacré à la diaspora maghrébine en Méditerranée et son rôle dans l’intégration régionale. 
Ce colloque avait pour objectif de poser les enjeux, de mobiliser et de valoriser les diasporas tout en identifiant les freins et les leviers à l’expression du potentiel qu’elles représentent. Il avait également pour objet de nourrir, par des idées nouvelles, les politiques publiques, tant du Nord que du Sud.

S.E. M. Chakib BENMOUSSA,  Ambassadeur du Royaume du Maroc en France

« Les compétences effacent l’appartenance » 
Introduisant les débats, Bariza Khiari, première vice-présidente du Sénat, a rappelé que la mobilité a beaucoup évolué et est devenue très diverse. La Méditerranée illustre cette évolution et est, selon elle, un laboratoire de cette diversité. A titre personnel, Bariza Khiari tire quelques enseignements de son propre parcours. L’appartenance à une diaspora rend un parcours plus difficile. Il doit donc se construire dans la durée. Et surtout, il ne faut rien renier de ce que l’on est. «Farouchement républicaine et musulmane pratiquante», Bariza Khiari conclut sur cette conviction forte « les compétences effacent l’appartenance ». 

« Nous avons besoin de vous !» 
Jean-Louis Guigou de son côté, remercie le Président Bel d’avoir accepté d’accueillir cette rencontre au Sénat et Bariza Khiari, en sa qualité de première vice-présidente d’avoir ouvert les débats avec des mots si forts et personnels. Il salue également la présence de Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Maroc à Paris, ainsi que celle de Mohamed Seghir BABÈS, Président du Conseil national économique et social (CNES) d’Algérie et Lassaad LAABIDI, Directeur Général de l’Office des Tunisiens à l’Etranger. 
L’objet du débat n’est pas ni politique, ni polémique. Il est avant tout  économique. Car l’économie est un domaine d’excellence où la diaspora a toute sa place. L’enjeu est bien de lever les obstacles sur la mobilité, et de porter à la connaissance du public les succès, ces success stories d’entrepreneurs issus de la diaspora, qui ont réussi de part et d’autre de la Méditerranée. 

Concluant son intervention sur un projet, une ambition, qu’il partage avec Karim Idir, Président d’AlFranc. Jean-Louis Guigou rêve de l’organisation prochaine d’une grande réunion, à laquelle participeraient de nombreux chefs d’Etat de toute la région, qui tous au Nord comme au Sud de la Méditerranée s’adresseraient aux représentant des diasporas maghrébines en leur disant « Nous avons besoin de vous ! ».

Le phénomène diasporique est très complexe. Il ne peut lui être appliqué des recettes clés en main. 
Intervenant pour caractériser la diaspora, Jacques Ould Aoudia, insiste sur le fait que la circulation des personnes constitue la quatrième dimension de la mondialisation, aux côtés de celle des marchandises, des flux financiers et de l’information. C’est aussi la moins bien connue, la plus complexe, car elle relève de pratiques sociales d’une infinie diversité. 

L’espace méditerranéen connait, depuis toujours, une intense circulation des personnes. Cette circulation est au cœur de son identité, des échanges économiques et culturels qui le traversent. Elle est également source de tensions. En sa qualité de président de l’association Migration et Développement qui travaille au Maroc, il tire quelques enseignements de l’expérience marocaine qui est pionnière au Maghreb, mais qui peuvent valoir pour les autres pays tout en prenant en considération les spécificités de chaque pays : 

-    Le territoire est l’espace pertinent. C’est à cette échelle que les décisions se prennent, et que les acteurs du territoire peuvent le mieux le soutenir, à l’heure où les collectivités locales au Maroc voient leur rôle accru en matière de développement économique et social.
-    L’attractivité de ce territoire est décisive : elle se construit par une vision stratégique claire portée par les autorités publiques et un engagement de celles-ci pour préparer le terrain (infrastructures, ressources humaines).
-    L’accompagnement des marocains résidant l’étranger, candidats à l’investissement est nécessaire, dans le pays d’accueil et au Maroc. Cet accompagnement s’effectue par une chaine d’acteurs (administrations, élus, banques, organismes de soutien, consulats, associations de migrants…) qui produit et diffuse cette information de qualité.
-    Les migrants investisseurs agissent sous de multiples motivations (attachement à la région, recherche de profit) et agissent aussi dans le cadre de projets collectifs pour la production de biens publics (éducation, santé, eau, routes…). Ils investissent aussi de plus en plus dans leur pays d’accueil tout en gardant à l’esprit que tous les migrants ne sont pas des investisseurs en puissance.
-    Dans les pays d’accueil, le changement de regard sur les migrants est nécessaire. Un regard positif fera d’eux des porteurs d’un double potentiel : vers leur pays d’origine, mais aussi comme acteur des pays d’accueil dans les pays émergents dont ils peuvent provenir.

Les diasporas jouent un rôle clé dans l’accompagnement du rattrapage technologique et du décollage économique des pays d’origine
Pour El Mouhoub Mouhoud, la diaspora peut être définie comme un groupe de migrants ou des descendants de migrants qui partagent une ou plusieurs caractéristiques importantes (pays d’origine, ethnicité, religions d’origine, langue, politique…) et qui vivent ailleurs que dans leur pays d’origine. Cette notion de diaspora est plus large que celle de migrants et inclut les double-nationaux et les deuxièmes, voire troisièmes, générations issues de familles de migrants.. Le droit à la mobilité se révèle efficace.
Une politique d’immigration efficace est une politique qui favorise la mobilité des migrants en garantissant la transférabilité et la continuité des droits. Ceci permet aux migrants de retourner, investir et travailler dans les pays d’origine sans perdre leurs droits d’immigrés, tout en conservant le droit d’aller et venir. Ils sont ainsi encouragés à la prise de risques d’investissement dans le pays d’accueil et dans le pays d’origine. La double nationalité est un facteur important de coopération de la diaspora avec les pays d’origine et de création de liens également fructueux pour le pays d’immigration. De nombreux travaux d’économistes et de sociologues montrent que les organisations de la diaspora peuvent faciliter l’intégration des immigrants dans le pays d’accueil ainsi que promouvoir le développement économique de leurs communautés dans les pays d’origine. Il serait judicieux d’accorder une liberté complète de circulation des compétences avec un statut à long terme, et non un statut précaire.

Les pays d’origine développent des politiques d’attraction en direction migrants 
Farida Souiah, pour sa part a souligné qu’il y a évolution de l'intérêt porté aux émigrés et l'institutionnalisation de la gestion de l'émigration, à travers notamment le cas du Maroc, de l’Algérie et du Liban. L’émigration a un poids social, économique et politique au Maroc. Les autorités marocaines ont conscience des enjeux de l’émigration et cherchent à mettre en place des dispositifs pour tenter de maintenir les liens économiques, culturels et politiques avec les émigrés.
Dans le cas de l’Algérie, au début des années de l’indépendance, l’émigration était perçue comme une conséquence négative de la colonisation. Progressivement, le caractère permanent de l’émigration algérienne s’est imposé et la rhétorique a changé. L’importance de l’émigration pour l’Algérie est sans cesse réaffirmée. Cependant, les dispositifs qui visent à stimuler et orienter les transferts de fonds sont encore trop limités. La politique d’action culturelle est en revanche multiple et protéiforme : des cours de langues en ligne à l’école internationale de Paris en passant par le centre culturel algérien.

Reconnaissance et valorisation pour une plus grande implication dans les pays d’origine et d’accueil
Les témoignages livrés des représentants de la diaspora (cf. Liste) ont conclu à la nécessité de travailler sur trois axes fondamentaux :
-    tirer profit et valoriser les initiatives de la diaspora notamment en matière de création de PME 
-    la nécessité pour les acteurs les acteurs économiques et institutionnels des pays du Nord et du Sud de la Méditerranée de prendre conscience du potentiel que représentent les diasporas pour les relations euro méditerranéennes.
-    les compétences, les transferts financiers et les investissements, des diasporas maghrébines peuvent aider à rendre concret le concept de co-production.

Un rôle à jouer dans l’intégration régionale
Pour sa part, l’Ambassadeur du Maroc, Chakib Benmoussa a rappelé que l’intégration régionale favorise la création des richesses et de la valeur ajoutée. Dans ce cadre,  la diaspora, qui a toujours contribué au renforcement des liens entre le pays d'accueil et celui d'origine dans le cadre d'une approche nord-sud, doit également œuvré en faveur de l'intégration au sud de la Méditerranée. Il a, d'autre part, mis l'accent sur le rôle que jouent les marocains établis à l'étranger en tant qu'acteurs de la coopération décentralisée et plus particulièrement dans le cadre du secteur privé et de la vie associative. 

Un potentiel à valoriser
Mohamed Seghir Babes Président du Cnes d’Algérie a affirmé que "les autorités algériennes ont conscience que ce potentiel est une réalité, qu'il faut prendre en considération et valoriser ». Le président du Cnes a également considéré que la diaspora, dans sa situation externe, par rapport à son pays d'origine, fait que «….. aujourd'hui dans des formats où des coopérations-in situ- se sont déjà réalisées, que des contacts se sont déjà établis avec les pays maghrébins pour nourrir les mêmes ambitions».

Concluant le colloque, Radhi Meddeb a affirmé qu’IPEMED poursuivra la réflexion sur la contribution économique de la diaspora maghrébine, à la fois dans les pays d'origine et dans les pays d'accueil. Le potentiel est encore très largement sous-utilisé et il y a, auprès de cette population active et dynamique autour de la question de la mobilité et de portabilité des droits ainsi que la question de des externalités positives des membres de la diaspora, par leur retour dans leurs pays d'origine et le transfert de savoir faire dont ils peuvent être porteurs, par leurs remises migratoires, pouvant atteindre jusqu'à 17% du PIB dans le cas du Liban et enfin par une forte incitation à l'éducation.
Source de l'article IPEMED

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