Liberté et contrainte en psychiatrie, un colloque passionnant organisé par L'Espace Éthique Méditerranéen

Le 31 janvier, L’Espace Éthique Méditerranéen organisait à l’Hôpital de la Timone un colloque intitulé Liberté et contrainte en psychiatrie. Ouvert par un philosophe, Pierre Le Coz, resituant avec rigueur la notion de liberté dans l’histoire de la pensée, depuis l’Antiquité grecque jusqu’à l’ultralibéralisme d’aujourd’hui qui la revendique comme «caution morale». 

Liberté et contrainte en psychiatrie, un colloque passionnant organisé par L'Espace Éthique Méditerranéen - ZibelineCitant Spinoza («Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent»), Schopenhauer («Du commencement à la fin, c’est la répétition du même drame, avec d’autres personnages et sous des costumes différents»), Freud («Le Moi n’est pas maître dans sa propre maison»). Pour conclure que l’être humain doit reprendre à chaque génération le cheminement qui le conduit vers l’intelligence critique, seule voie possible vers l’autonomie, soit la capacité de se dicter ses propres déterminants.

L’historien Jean-Christophe Coffin prenait sa suite en se félicitant de ce que «40 ans auparavant, le fait que la psychiatrie soit une discipline de la contrainte était une évidence que l’on ne questionnait pas. D’ailleurs dans un tel colloque, il n’y aurait pas eu de sociologues[1].» Avant de montrer l’évolution des représentations de la maladie mentale à travers les âges. Il évoquait voquant notamment le malade de la fin du XIXe, qui n’inspire plus la compassion mais devient un «fou moral», ignorant le bien et le mal, inquiétant, peut-être criminel héréditaire. Légitimant les mesures de contrainte aux yeux de psychiatres dotés d’une toute-puissance.

Puis ce fut au tour de Caroline Guibet-Lafaye de s’exprimer au sujet de la loi de juillet 2011, qui a étendu la possibilité d’internement sans consentement. Au titre de l’exception de la psychiatrie, seule discipline à avoir le droit de soigner contre la volonté des patients. Et qui ne respecte pas toujours une autre liberté fondamentale de tout citoyen : celle de choisir son praticien. Quid de l’alliance thérapeutique, si indispensable à la guérison ? Elle évoquait, entre autres questions dérangeantes, celle des injections de neuroleptiques retards qui privent le patient de toute possibilité d’évolution, et donc de sortie de la maladie. Non sans avoir à préciser à un médecin présent dans le public qu’elle n’avait pas de réponse toute faite à lui fournir concernant sa pratique et la validité de ses choix. Car de fait, si l’on ne prive pas de liberté certains patients, si on les laisse sans soins, ne les abandonne-t-on pas ?

La coordinatrice de la commission Éthique et Psychiatrie Nicole Cano évoquait quant à elle le paradoxe du soignant, à qui si un problème survient, l’on reproche de ne pas avoir assez contraint le malade. Son inquiétude face au retour des portes fermées sous la pression du principe de précaution faisait écho à la remarque de Maïté Arthur concernant le fait que les psychiatres n’apprennent plus le grec ou le latin, langues de la médecine, mais plutôt l’anglais, celle des labos et du marketing, avec une visée : rendre le patient à nouveau productif. Ou du moins faire taire ses symptômes les plus bruyants.

L’intervention la plus forte fût indéniablement celle d’un magistrat, le juge des libertés Gilles Ballaÿ. De ses propos, on voudrait tout citer tant son approche profondément humaine a remué l’assistance. D’après lui, il est terriblement facile d’asservir l’autre dans la vie de tous les jours, sans même aborder la relation du soignant au malade mental. «La loi permet d’atteindre aux libertés fondamentales d’un individu si quelqu’un peut être dangereux pour lui-même ou pour la société. Dans les cas extrêmes, on ne se pose pas la question, ce sont les zones grises qu’il faut questionner.» Que faire des personnes âgées indigentes, en perte d’autonomie, qui dérangent tout le monde ? Nous devons en toute rigueur peser aussi la liberté de vivre ou de mourir, car si l’on veut parler de liberté, il faut aller jusque-là. Comment réagir face à quelqu’un qui veut se tuer, est-ce que c’est son droit ? Est-ce qu’il faut prévenir le suicide en maintenant l’hospitalisation ? «Le juge cherche à respecter des équilibres, entre celui de la liberté et celui de la non-vie. Une vie dans une camisole chimique, est-ce une vie ? La loi pose un cadre, mais il faut que chacun accepte d’être humble et que le débat éthique fasse rage à l’intérieur de lui-même : le médecin, le juge, le procureur, le maire.» Ajoutons en espérant ne pas trahir sa pensée : le proche, l’ami, le voisin. Le citoyen.

Par Gaëlle Cloarec - Source de l'article Journal Zibeline

[1] De nos jours, ils sont présents, mais pas plus que l’historien, ils n’ont d’accès ouvert aux patients, ce qui peut donner à leurs études un aspect tronqué.

Prochaines conférences organisées par L’Espace Éthique Méditerranéen :
  • Qu’est-ce que la génétique apporte à la psychanalyse ? Le 27 février de 9h à 17h à l’Institut Paoli Calmettes. Inscriptions 04 91 22 33 59
  • Éthique et maladie d’Alzheimer : le propre de l’humain le 14 mars de 14h à 18h à l’Hôpital de La Timone. 
Renseignements et inscriptions : 04 91 38 44 26/27


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