Le bilan économique et social des révolutions arabes est désastreux

Croissance faible, déficit en flèche, dépréciation monétaire, tourisme en berne, chômage à la hausse… Trois ans après le début du «Printemps arabe», la Tunisie, l'Egypte, la Libye et la Syrie peinent à renouer, sur le plan économique, avec l’ère de la dictature. Panorama en chiffres.

Trois ans après la «Révolution du Jasmin» en Tunisie et «la Révolution du 25 janvier» en Egypte, qui vont marquer le coup d’envoi d’une série de manifestations et de soulèvements populaires à travers le monde arabe, le bilan économique des pays en transition n’est pas formidable.
Si ces soulèvements ont réussi dans certains pays à atteindre leur objectif primordial, celui de mettre fin à des décennies de dictature, ils n’ont pas encore produit, en revanche, les autres effets escomptés. Les révoltes populaires portaient en elles l’espoir d’un renouveau politique, certes, mais aussi d’un nouvel élan socioéconomique qui permettrait de mieux redistribuer les richesses, jusque-là concentrées entre les mains d’une minorité au pouvoir, et d’assurer justice et emplois à une nouvelle génération montante.  

Mais les transitions politiques se sont avérées plus longues et ardues que prévu. Entre octobre 2011, date à laquelle le parti Ennahda était arrivé au pouvoir, et janvier 2014, la Tunisie a été soumise à des tiraillements politiques entre islamistes et forces laïques, dont les réformes et l’économie ont été les premières victimes.
En Egypte, l’élaboration d’une nouvelle constitution et la préparation aux premières élections démocratiques dans l’histoire du pays ont été suivies d’une longue épreuve de force entre islamistes et membres de l’establishment militaire, ayant mené en juin dernier à la destitutionmanu militari du Président Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans.
De son côté, la Lybie s’est enlisée dans la violence; le pays est aujourd’hui coupé en cinq zones contrôlées par des milices constituées d’éléments tribaux, tandis que les autorités centrales tentent encore de rédiger une constitution nationale et d’imposer une seule autorité militaire.
Enfin, la Syrie est en proie à une guerre civile ravageante qui oppose depuis près de trois ans le régime de Bachar el-Assad, issu de la minorité alaouite, aux combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) ainsi qu’à des milices islamistes dans un combat aux ramifications régionales et internationales.   
Face à ce chaos, l’ultime objectif du passage vers des économies plus productives, capables d’absorber une demande d’emplois croissante semble loin, très loin même.

Tunisie


Des Tunisiennes manifestent pour demander la démission du gouvernement
dirigé par les islamistes, en novembre 2013, à Tunis. REUTERS/Anis Mili
La croissance à 3%, l’inflation à 6%
Le PIB a connu une contraction de 1,9% durant la première année suivant la révolution (2011) —une première historique— avant de grimper à 3,6% en 2012 et de se stabiliser autour de 3% cette année. Ces taux restent néanmoins largement inférieurs aux pics atteints au cours de la dernière décennie; la croissance s’élevait à plus de 6% en 2007.
Si l’instabilité politique y est pour beaucoup, le contexte régional précaire, la lente reprise au sein de la zone euro ainsi que la politique de la FED pèsent également dans la balance.
De leur côté, les prix ont continué d’augmenter, l’inflation passant de 3% en glissement annuel en 2010 à 6% en 2013, selon les estimations.  La situation risque de se prolonger en 2014; les prix de l’électricité et du gaz devraient augmenter de 7%, selon la loi de finances mise en place récemment par le gouvernement et critiquée par certains experts comme étant truffée de contradictions et susceptible d’appauvrir davantage la classe moyenne. 

Hausse des déficits externe et public

Le déficit de la balance courante devrait atteindre 3,9 milliards de dollars cette année, soit 8,5% du PIB, contre un déficit de 2,1 milliards de dollars en 2010, l’équivalent de 4,8% du PIB, tandis que le déficit budgétaire est prévu de culminer à 7% du PIB contre 1,1% en 2010.
En parallèle, la dette du pays est passée, en valeur absolue, de 26 milliards de dinars tunisiens à plus de 35 milliards entre 2010 et 2013. En termes relatifs, le ratio de la dette au PIB reste toutefois inférieur à 50% –une note positive dans le tableau–  même si celui-ci a légèrement augmenté (45% en 2013, contre 40% trois ans plus tôt).

Le dinar dégringole
Sur le plan monétaire, le dinar tunisien a connu une forte dépréciation face au dollar et à l’euro au cours des trois dernières années, notamment entre mai 2011 et mai 2013 (-10% par rapport à la monnaie unique et -15% par rapport au billet vert sur cette période). Si cela est d’abord dû à l’instabilité politique, il découle également, selon certains analystes, de la décision de la Banque centrale tunisienne d’abandonner le panier des devises (euro et dollar) auquel le dinar est indexé.
D’autres facteurs exogènes, comme la politique de resserrement monétaire de la FED, et celle de rachats de titres souverains par la BCE, ont également pesé dans la balance.   
Cette dépression monétaire a contribué au creusement du déficit commercial, les importations devenues de plus en plus chères; en revanche les exportations n’ont pas été dopées par un dinar moins fort. Cela est dû, entre autres, au fait que l’industrie tunisienne soit tributaire non seulement de matières premières mais aussi de biens semi-finis majoritairement importés. De ce fait, la compétitivité à l’export est réduite par le coût de ces importations nécessaires au processus de production.
En outre la baisse de la demande européenne découlant de la crise dans la zone euro —premier partenaire commercial de Tunis— a pesé sur les exportations de biens et de services, dont le volume a progressé seulement de 2,5% en 2013, selon le FMI, après avoir chuté de 7,7% en 2011. En 2013, le taux de couverture (exportations/importations) est repassé au-dessus de 70% contre 76% en 2011, après avoir marqué un trébuchement en 2012 à 69%.

Baisse des réserves internationales
Les réserves internationales représentent désormais l’équivalent de moins de 100 jours d’importation, contre plus de 180 jours en 2009 et près de 150 jours en 2010, en raison de la pression continue sur la balance des paiements. Celle-ci provient de la baisse des investissements directs étrangers (IDE) ainsi que de la contraction des tirages sur emprunts à moyen et long-termes.

Chômage: légère amélioration
Le taux de chômage a légèrement diminué en 2012 et 2013, comparé à l’année qui a suivi le renversement de Ben Ali, suite à un programme de recrutement dans le secteur public, mais il reste élevé, en particulier parmi la tranche «qualifiée» de la population; selon des estimations, plus de 30% des personnes disposant d’un diplôme universitaire sont à la recherche d’un emploi. Les femmes sont plus touchés que les hommes au sein de cette catégorie (43% des femmes sont au chômage, contre 20% des hommes).

Tourisme: progrès timide
Le nombre des touristes en Tunisie a légèrement progressé en 2013, atteignant 6,3 millions de visiteurs, en hausse de 5% par rapport à 2012, sans pour autant atteindre le niveau de 2010 (-9,2%). Les recettes touristiques ont quant à elles enregistré sur un an une baisse de 5,3% en euros (1,4 milliards d’euros) et une légère hausse de 1,5% pour les recettes en monnaie nationale (3 milliards de dinars), selon la Banque centrale.
Par rapport à 2010, dernière année de la dictature, celles-ci s’inscrivent en baisse de 7,4% en dinars et de 18,3% en euros.

La note souveraine abaissée trois fois en 2013
La note sur la dette tunisienne a été revue à la baisse à plusieurs reprises depuis la chute de Ben Ali. En novembre, l’agence américaine Moody’s a de nouveau abaissé d’un cran la note à « Ba3 » assortie d’une perspective négative. Il s’agissait de la 3e révision de la note par Moody’s en 2013.  L’agence a imputé cette dégradation à «l’incertitude politique et la polarisation grandissante». Moody’s a mis en garde contre un nouvel abaissement en cas d’impasse politique persistante et d’une détérioration soutenue de la balance des paiements.
En août dernier, l’agence Standard & Poor’s avait également abaissé la note du pays de « BB-» à « B ». Ces révisions risquent d’assombrir les perspectives d’investissements et d’emprunts sur les marchés internationaux et de se répercuter négativement sur le service de la dette.
Dans une démarche assez inhabituelle, le gouvernement tunisien a demandé en décembre dernier à l’agence S&P de ne plus noter le pays, une démarche qui risque d’avoir de nouvelles retombées sur la crédibilité du pays dans le contexte actuel.

Egypte



Guides touristiques vers les pyramides de Gizeh, 
en août 2013. REUTERS/Youssef Boudlal

La situation économique ne diffère pas largement de celle qui prévaut en Tunisie. La destitution de Morsi en juin dernier a été suivie d’un bras de fer qui se poursuit entre l’Armée et les Frères musulmans. Des signes de reprise sont toutefois apparents, tandis que le gouvernement, soutenu par les monarchies du Golfe, tente de sortir la tête du pays de l’eau.  
Le gouvernement de transition mené par Hazem Béblawi —économiste de renom et ancien ministre des Finances— a annoncé fin août un premier plan de relance sur neuf mois (à partir de 2014) d’une valeur de 3,2 milliards de dollars financé, en partie, par les aides étrangères.
En parallèle, le gouvernement a présenté un programme économique et social, dont les objectifs annoncés sont une hausse de la croissance à 3,5% cette année (contre 1,8% en 2013, selon le FMI) ainsi qu’une réduction du déficit public à 10% du PIB et du chômage à 9%, impliquant la création de 800.000 nouveaux emplois.

La croissance à moins de 2%, l’inflation à 7%
Alors que l’économie égyptienne semblait témoigner de légers signes de relance en 2012, après le ralentissement qui a suivi la Révolution, les dernières estimations du FMI tablent sur un taux de croissance de 1,8% en 2013. Il faudra attendre 2015 pour renouer avec un taux de 4%, selon le FMI. Ces taux sont en outre loin du minimum de 6% à partir duquel sont garantis les grands équilibres macro-économiques du pays.
Quant à l’inflation, elle risque de dépasser de nouveau le seuil des 10% en 2014.

Le déficit public frôle les 15% du PIB
De son côté, le déficit public s’est creusé à 14,7% du PIB en 2013, contre 10,7% un an plus tôt et 8,3% en 2010, selon le FMI. En parallèle, la dette publique a augmenté sous l’effet d’un plus grand déficit, atteignant 90% du PIB en 2013, contre 73% avant la révolution.

Chute de la livre égyptienne  
En parallèle, la livre égyptienne, qui arrivait à limiter sa dépréciation à 5,1% par rapport au dollar début 2011 et à 2,4% par rapport à l'euro, a perdu 11% de sa valeur vis-à-vis du billet vert entre décembre 2012 et avril 2013.
Elle a atteint un plus bas en juillet 2013, à plus de 7 livres le dollar, au lendemain des manifestations géantes qui ont mené au renversement du président Morsi, avant de grimper progressivement, mais timidement, durant la deuxième moitié de 2013.

Les investisseurs boudent toujours le pays…
Avec un stock cumulé d’investissements directs étrangers (IDE) estimé par la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à 73,1 milliards de dollars en 2010, l’Egypte comptait parmi les premières destinations d’IDE du monde arabe, grâce à une politique volontariste d’attraction des investissements amorcée en 2004.
La crise économique mondiale, articulée aux bouleversements politiques internes, ont toutefois changé la donne. Selon le rapport annuel de la CNUCED, le montant des IDE entrants en Egypte s’est élevé à 2,8 milliards de dollars en 2012, contre un solde négatif de 483 millions en 2011. Ce redressement reste néanmoins bien inférieur aux niveaux de flux entrants atteints avant la Révolution.

Le chômage, une endémie qui ne chôme pas
Longtemps considéré comme l’un des problèmes majeurs en Egypte, à l’instar d’autres pays arabes, le chômage, notamment parmi les jeunes, n’a pas connu de répit après le renversement de Hosni Moubarak.
Conséquence d’une baisse des investissements et de la fermeture ou de l’arrêt de plusieurs milliers de sociétés (40.000, selon des estimations), le taux officiel de chômage a atteint 13,3% en juin 2013, contre 9% en 2010, tandis que le taux officieux s’élève à près de 20%, et à plus de 40% parmi la tranche 20-24 ans.

La  bourse reprend des couleurs
Après plusieurs épisodes de suspension des échanges au cours des trois ans suivant la Révolution du 25 janvier, la bourse s’est ressaisit au cours des six derniers mois, portée par un regain de confiance de la part des investisseurs, après la destitution de Morsi.
L’EGX-30, principal indice de la Bourse du Caire, a dépassé la barre des 6.000 points en octobre, pour grimper à 6.200 points début décembre et culminer à plus de 7.200 points à la mi-janvier, renouant ainsi avec son niveau d’avant fin 2010.

Le tourisme tente de résister
En 2010, l’Egypte accueillait 13,8 millions de touristes, représentant 11,3 % du PIB, et employait 3 millions de personnes. L’année suivante, le pays perdait, dans la foulée de la Révolution, deux millions de touristes sur un an, puis trois millions en 2012 (à 10,9 millions de visiteurs).
Certaines destinations-clés comme Louxor se sont transformées en villes fantômes aux pics des tensions. La situation s’est toutefois légèrement améliorée l’an dernier, le nombre de touristes se hissant à 12,2 millions sur l’ensemble de l’année 2013.

Notation souveraine: un début de mieux?
Les troubles politiques ont eu raison de la notation souveraine de l’Egypte. L’agence Moody’s a abaissé en mars dernier de "B3" à "Caa1",  6e abaissement de la note souveraine depuis janvier 2011. La note “Caa1” correspond à la catégorie “risque élevé” dans l’échelle de notation de l’agence, impliquant une probabilité de défaut de paiement de 10% sur un an et près de 40% sur les cinq ans qui suivent son attribution.
De son côté, Standard and Poor's (S&P) a inscrit en mai dernier l'Egypte dans la catégorie spéculative, en abaissant sa note souveraine à "CCC+", attribuée généralement à des émetteurs de qualité médiocre ou présentant un vrai risque de non-remboursement.
Seule lueur au tableau : l'agence Fitch Ratings a confirmé début janvier la note "B-" à long terme, tout en relevant la perspective à "stable" contre "négative" jusqu'à présent, à la faveur de l'aide étrangère dont a bénéficié le pays (voir plus bas).

Les aides du Golfe, une soupape de sécurité
Depuis le début de l’été dernier, 16 milliards de dollars ont en effet été promis par les pays du Golfe (Emirats Arabes Unis, Arabie saoudite et Koweït) à l’Egypte, répartis en 6 milliards de dépôts à la Banque centrale, 3 milliards en liquide pour alimenter les réserves, 4 milliards d’aides en nature (produits pétroliers, etc.) et 3 milliards sous forme de soutien à des projets dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et de l’Energie.
Jusqu’à fin octobre, 50% de ces promesses ont été effectivement traduites, avec la signature entre les autorités égyptiennes et les EAU d’un accord de 4,9 milliards de dollars.

Libye


Après l'explostion d'un pipe-line en avril 2013. REUTERS/Esam Al-Fetori

Comme dans chacun des pays du «Printemps arabe», la transition politique en Libye continue de prendre le dessus sur l’économique, alors que le pays est toujours sans constitution et en proie à des violences. L'attention du gouvernement est toujours portée presque entièrement sur ​​les moyens de rétablir l’ordre, à l’ombre des nombreux incidents qui ont jalonné jusque-là l’ère post-Kadhafi.
Attaques contre ambassades, assassinats politiques, enlèvements, démissions et remaniements ministériels, revendications séparatistes, prolifération d’armes sous le contrôle de milices et groupes radicaux présents sur le terrain… Autant de facteurs qui retardent la reprise et le chantier de réforme économique dans un des pays les moins avancés de la région. Entretemps, la production pétrolière, poumon de l’économie nationale, a renoué timidement avec la période précédent le soulèvement de février 2011.

Une croissance en dents de scie…  
Grâce à une reprise progressive de la production et de l’exportation d’hydrocarbures, l’économie libyenne s’est redressée après avoir connu un fort repli dans la foulée du conflit. Le PIB réel a ainsi bondi de 105% en 2012, après une contraction de 62% en 2011, avant de reculer légèrement en 2013 (-5,1%).
Ces fortes oscillations découlent d’une grande dépendance de l’économie libyenne aux hydrocarbures, qui la rend largement tributaire de l’évolution des prix et de la production; avec 1,6 million de barils par jour (Mb/j), le pétrole (et le gaz, dans une moindre mesure) représente traditionnellement 65% du PIB, 96% des exportations et 98% des recettes de l’Etat.  
En 2011, le pays ne produisait plus que 0,1Mb/j fin août, en raison des combats, de la destruction de certains sites et des sanctions internationales mises en place durant la crise. A partir de septembre 2012, la production pétrolière a toutefois retrouvé sa capacité pré-révolution.
C’est ce qui explique la croissance de 25,5% prévue cette année, portée également par la levée de la plupart des sanctions financières et de la reprise de certaines activités, notamment dans le domaine de la construction.
Alors que la croissance s’est ressaisie, l’inflation a ralenti à 3,6% en 2013, contre 6,9% en 2012 et 15,9 % en 2011 (atteignant un pic de 28% durant le conflit). Elle devrait grimper de nouveau cette année, à 9,4%, selon les dernières estimations du FMI.

…qui dicte l’état des finances publiques
La chute des exportations pétrolières en 2011 a largement affecté l’état des finances publiques, qui ont accusé un déficit équivalent à 15,4% du PIB, contre un surplus de 8,9% en 2010. La reprise de l’activité en 2012 a toutefois permis de renouer avec un excédent budgétaire, estimé à 20,8% du PIB, tandis qu’en 2013, le budget à l’équilibre adopté par les autorités prévoyait ni déficit ni excédent.
En dépit de la hausse des recettes générées par le secteur pétrolier, les importantes dépenses consacrées aux subventions et aux salaires du secteur public soumettent les finances publiques à rude épreuve. Illustrant cette pression, les dépenses totales ont augmenté de 48% du PIB en 2010 à 57% l’année du soulèvement et auraient atteint 67% du PIB en 2013, selon le FMI. 

Absence de secteur privé, chômage élevé
L’une des principales entraves à un développement durable réside dans l’absence d’un secteur privé générateur d’emplois. L’économie libyenne repose essentiellement sur le pétrole, qui contribue pour moins de 5% à l’emploi total malgré son poids important dans le PIB, et un secteur public qui emploie 85% de la population active.
Malgré quelques efforts de diversification avant le conflit, l’activité économique hors hydrocarbures constituait une part négligeable des exportations totales. Celle-ci a été affaiblie davantage durant le conflit, avec la destruction d’infrastructures et de sites de production ainsi que l’interruption de l’activité bancaire et le départ des travailleurs expatriés.
Aujourd’hui, le secteur privé reste l’un des parents pauvres de l’économie libyenne. Le chômage, estimé à plus de 25% de la population active, risque de se creuser si des mesures concrètes de diversification économique ne sont pas prises, avertissent les experts.  

Marché bancaire : une mesure à caractère islamique qui risque de paralyser le secteur
Le vote en janvier 2013 de la loi interdisant les transactions financières avec intérêt tend à déstabiliser le secteur bancaire, en l’absence d’une structure propre à la finance islamique.
Cette mesure est venue perturber le retour à la normale au sein du marché financier qui avait pâti durant le conflit de nombreuses sanctions, dont l’interdiction d’accès de la Banque centrale et de laLibyan Foreign Bank à environ 100 milliards de dollars d’actifs liquides, le plafonnement des retraits bancaires et d’autres mesures.
La levée de ces sanctions s’est accompagnée d’une expansion de la masse monétaire et des crédits au secteur privé, qui ont respectivement augmenté de 11,5% et 30,3% en 2012, selon le FMI. 
Ni déficit extérieur ni dette…
Même si les risques d'un déficit extérieur à court terme restent limités pour la Libye, une éventuelle chute des prix des hydrocarbures affecterait l’équilibre des balances extérieures dont a toujours jouit le pays (avant et après Kadhafi). Mais les prix devraient rester plus ou moins stables en 2014. Le ministère américain de l'énergie table sur un baril à 104 dollars cette année, contre 109 dollars en 2013 et 112 dollars en 2012.
En 2012, les exportations de pétrole avaient permis de générer un surplus de 24 milliards de dollars au niveau de la balance courante contre moins de 15 milliards durant la dernière année du règne de Kadhafi. Un déficit de 4,4 milliards de dollars est néanmoins prévu en 2014 sous l’effet d’une baisse anticipée des cours mondiaux de pétrole.
La Libye reste un des rares pays non-endettés de la planète, ce qui le protège dans une certaine mesure contre les risques financiers et non-systémiques et leur impact sur les finances publiques et les risques de faillite d’un Etat.

…mais de nombreuses failles structurelles persistent
La plupart des infrastructures libyennes (logement, transports, télécommunications, éducation, santé) remontent aux années 1970, tandis que le niveau de développement socioéconomique reste bien en deçà des richesses naturelles dont dispose le pays. Ce retard est le résultat de politiques économiques inadaptées durant l’ère Kadhafi et de l’isolement du pays pendant la période des sanctions (1986-2003).
L’un des défis majeurs des gouvernements actuels et futurs consiste donc à piloter un effort de rattrapage et de remédier aux faiblesses structurelles, à travers des réformes axées sur la diversification économique, la refonte administrative, le développement du secteur privé, une meilleure gestion des finances publiques et la modernisation du secteur financier.
Pour cela, l’Etat devra investir davantage et réallouer une plus grande part de son budget pour des projets de développement. Mais la période post-Kadhafi s’annonce pour l’instant peu prometteuse.

Syrie

Dans un magasin d'armes d'Alep, en 2013. REUTERS/Muzaffar Salman.
Face à un conflit des plus meurtriers du XXIe siècle, la Syrie connaît l’un des pires dérapages économiques depuis l’indépendance, dans les années 1940.
Près de 150.000 tués, plusieurs millions de réfugiés, exilés ou déplacés, voilà pour le bilan humain. Et 103 milliards de dollars perdus à la fin juin 2013, soit l’équivalent de 174% du PIB atteint en 2010, selon un rapport publié par le Syrian Center for Policy Research(SCPR), en collaboration avec deux agences onusiennes (UNRWA et UNDP).
Dans les détails, le volume du PIB a chuté d'environ 48 milliards de dollars jusqu’à fin juin 2013 (sur un PIB de 60 milliards de dollars en 2010), auquel se sont ajoutées des pertes colossales en capital, estimées à près de 50 milliards de dollars.
L'économie syrienne a en effet subi une désindustrialisation massive à la suite de la fermeture et de la faillite de nombreuses entreprises depuis mars 2011, la fuite de capitaux, ainsi que le pillage et la destruction de nombreux sites de production.
Outre ces pertes qui totalisent près de 98 milliards de dollars, la hausse des dépenses militaires, perçue comme des pertes indirectes, a totalisé 5,5 milliards de dollars depuis le début du conflit.

Un déficit public à plus de 30% du PIB
Sur le plan budgétaire, le déficit public s’élève désormais à plus de 30% du PIB, alors qu’il ne dépassait pas 3% en 2010.
La dette publique a en outre atteint 73% du PIB, tirée vers le haut par le creusement du déficit et la nécessité d'accroître les emprunts extérieurs. En 2013, l’Iran a ouvert une ligne de crédit de 3,6 milliards de dollars pour l’achat de produits pétroliers, visant à contrer l’embargo occidental, et une autre ligne d’un milliard de dollars pour d’autres types d’achats. La dette syrienne, qui s’élevait à 23% du PIB en 2010, était l’une des plus faibles dans le monde avant le début du conflit.

Pression monétaire
La livre syrienne a continué de perdre de sa valeur, avec un taux de change officiel en chute de 115% entre mars 2011 et juin 2013. En parallèle, le marché noir a continué de se développer avec un taux de change moyen de 182 livres pour un dollar en juin 2013, selon le SCPR, comparativement à une moyenne de 107 livres/dollar trois mois plus tôt. Cela a créé un écart croissant entre le taux officiel et le taux officieux, ayant atteint près de 80 livres en juin dernier, soit 80% du taux officiel.

Le chômage et la pauvreté en forte hausse
Sur le plan social, pas moins de 2,3 millions d'emplois ont disparu depuis le début de la guerre, mettant en péril la vie de 10 millions de Syriens, d’après le SCPR. Le taux de chômage s’élève désormais à plus de 50%, contre 9 à 15% avant la crise, selon les estimations. Cette destruction massive d’emplois a provoqué une augmentation sensible du taux de pauvreté. Désormais, plus de la moitié de la population (80% selon certaines estimations) vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, dont 4,4 millions vivant désormais dans une situation de pauvreté extrême.

L’éducation et la santé frappées de plein fouet
Reflétant cette détérioration du niveau de vie, l'indice de développement humain (IDH) a perdu 20,6% de sa valeur par rapport à 2010, renouant avec ses niveaux du début des années 1980. L’indice est prévu d’atteindre un plus bas de 0,513 d’ici juin 2014, contre 0,646 en 2011.
Cette baisse est largement liée à l'impact dévastateur de la crise sur le secteur de l'éducation. Selon le rapport du SCPR, le taux de décrochage scolaire s’élevait à près de 50% à la fin du premier semestre de 2013, tandis que le système éducatif a perdu près de 3.000 écoles.
Le système de santé est également confronté à un effondrement significatif. Le nombre de médecins par rapport à la population est passé d’un ratio d’un médecin pour 661 personnes en 2010 à 1 pour 4.041 fin juin 2013. En parallèle, quelque 57 hôpitaux ont été endommagés par les combats et 37 autres sont hors service, tandis que 593 centres de soins primaires —source principale de médicaments pour les malades chroniques— sont touchés.

Déplacement et émigration
Enfin, le conflit armé a provoqué un phénomène massif de déplacement et de migration interne forcée, tandis que la population réfugiée dans les pays voisins ne cesse de croître. Selon le SCPR, plus d'un tiers des Syriens (36,9%) ont quitté leur lieu de résidence habituel, tandis que trois millions de personnes ont quitté le pays, dont 1,73 million de réfugiés (notamment au Liban, en Jordanie et en Turquie) et 1,37 million d’émigrés (vers le Canada, les Etats-Unis, la France, etc.). En outre, plus de 4,8 millions de personnes (20% de la population) ont été déplacées à l'intérieur du pays.

Par Bachir El Khoury - Source de l'article Slate

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