La « non-Méditerranée » : quel coût ?

Si la question du coût du non-Maghreb est souvent évoquée [1], celle qui concerne le cout de la non-Méditerranée est en revanche bien moins explorée
Serait-ce lié au caractère politiquement sensible d’une telle démarche, alors que de grands efforts diplomatiques et financiers sont menés depuis plusieurs années, et notamment depuis 1995 avec le lancement du processus de Barcelone, pour tenter de rapprocher l’Union européenne des pays du sud et de l'est de la Méditerranée (PSEM) sur le plan économique ? Quand bien même le bilan de ce processus s’avère décevant, avec une intégration commerciale euro-méditerranéenne pas moins forte en 2013 qu’elle ne le fut à la fin du XXe siècle, et un développement des PSEM somme toute limité, il n’est pas forcément bienvenu d’introduire une réflexion sur le coût de la non-Méditerranée si l’on veut s’en tenir à la doxa dominante ou bien-pensante, selon les cas.

Tout l’intérêt de l’analyse récemment produite par trois économistes de l’Agence française de développement (AFD) est de s’affranchir de ce contexte, non pas en discutant de la pertinence géopolitique de la coopération euro-méditerranéenne, mais en revisitant le débat sur l’intégration euro-méditerranéenne afin d’en observer son impact sur les PSEM à court comme à moyen-terme. Leur conclusion principale est sans appel : que l’on regarde la séquence historique depuis 1995 ou que l’on se projette sur un horizon à 2025, le coût de la « non-Méditerranée » serait relativement faible. Un approfondissement de la libéralisation commerciale entre les rives ne permettrait pas aux PSEM de muscler leur croissance économique et d’accroître significativement leur développement. Par ailleurs, les scénarios bâtis en cas de libéralisation graduelle des échanges commerciaux euro-méditerranéens tendent à montrer qu’une différenciation importante s’opérerait en fonction des secteurs d’activités et des pays. L’agriculture et l’agro-alimentaire pourraient bénéficier d’une plus grande ouverture économique, la Turquie et la Tunisie en seraient favorisés. L’étude montre aussi que pour les PSEM, devant les problématiques socioéconomiques auxquels ils sont actuellement confrontés, une libéralisation commerciale seule ne peut suffire pour mettre en place une nouvelle politique de croissance.

Ces résultats reposent sur un travail empirique novateur, mené par ces experts en collaboration avec le Centre d’études prospectives et informations internationales (CEPII). Le travail ici proposé fait incontestablement avancer la recherche, nourrit le débat et pose avec acuité la problématique de la dilution du lien commercial euro-méditerranéen avec la mondialisation. Le mérite est de jeter un pavé scientifiquement argumenté dans une mare euro-méditerranéenne politiquement galvaudée. Il ne faut pas lire pas cette étude si l’on refuse de faire un déménagement intellectuel dans sa tête. En revanche, à découvrir immédiatement pour tous ceux qui se retrouvent dans cette belle formule laissée autrefois par André Gide : « Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent ».

Source
COMOLET Emmanuel, MADARIAGA Nicola, MEZOUAGHI Mihoub, « Croissance et intégration commerciale EuroMed : peut-on parler d’un coût de la non-Méditerranée ? », AFD, Macro-Economie & Développement, n° 7, juin 2013. 

[1] Voir ABIS Sébastien, « Non-Maghreb : coût économique ou coup politique ? », note d’analyse prospective, n°128, 17 avril 2013, Futuribles International. 

Par ABIS Sébastien - Source de l'article Futuribles

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