France-Maroc « La Méditerranée des projets» pour revigorer l’UPM

Après le relatif échec du déploiement de l’Union pour la Méditerranée (UPM) telle que défendue par Sarkozy, la France est en train de réajuster le concept compte tenu des changements que connaît la région. A cet effet, François Hollande a confié une mission sur «la Méditerranée des projets». Mission confiée au député Michel Vauzelle, vice-président de la Commission française des Affaires étrangères.
Vauzelle, qui est également président de la région PACA, était porte-parole de l’Elysée du temps de Mitterrand.  Il s’est rendu cette semaine au Maroc pour expliquer les fondamentaux de la nouvelle vision.

- L’Economiste: Dans un contexte de crise économique, comment la France peut contribuer à l’investissement et relancer des projets en Méditerranée ?
- Michel Vauzelle : La France est touchée par la crise. Elle est obligée de faire un certain nombre d’efforts par un gouvernement de gauche. Les électeurs ne s’attendaient pas à une politique de rigueur et de remise en ordre. Mais cette remise en ordre est nécessaire parce que la gauche a besoin de démontrer sans arrêt qu’elle sait gérer avec sérieux les intérêts du pays, même en adoptant des mesures impopulaires qui remettent en cause des acquis sociaux. C’est ce qui se passe en ce moment. C’est le résultant de la politique réaliste et respectueuse des intérêts de la France que mène le président François Hollande. Je pense que la France ne peut pas sortir seule de cette situation où le gouvernement actuel doit faire face aux effets de la mondialisation. On vit dans un monde confronté à la concurrence de pays comme la Chine et l’Inde qui n’ont pas les mêmes critères en matière de rétribution et de droits du travail. En même temps, il y a un héritage de 10 ans de gouvernement de droite, qui, au lieu d’apporter des réponses, a aggravé la situation en allant dans un sens ultralibéral qui n’était pas souhaitable. S’y ajoute une majorité à droite au Parlement européen qui veille sur cette politique libérale dont les conséquences sont connues de tous.

- Beaucoup parlent de l’échec de l’Union pour la Méditerranée telle que défendue par Sarkozy. Qu’apporte de nouveau la touche socialiste ?
- L’UMP a eu, il faut le reconnaître à Sarkozy, une très belle et grande idée qu’est celle de l’Euro Méditerranée. Quoiqu’au départ, l’idée était l’Union de la Méditerranée. Et puis rapidement, on a vu que cette politique de canonniers diplomatiques n’a pas été acceptée par l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne… finalement, l’UE a repris la main sur ce projet. Je crois qu’il y a eu une erreur dans la précipitation avec laquelle Sarkozy a lancé cette idée qui a été immédiatement récupérée par l’Allemagne et par l’Europe et qui a ensuite étouffé le projet.  Aujourd’hui, l’argent est à Bruxelles et c’est la commission qui décide. De notre côté, on peut avoir des solutions et discussions comme les 5+5. Cela demande une construction assez à droite et pas forcément aisée avec Bruxelles.

- Il y a eu aussi la crise économique, le printemps arabe, la chute de certains régimes, le Sahel… Est-ce que cela n’a pas compromis ce projet méditerranéen ?
- Non pas du tout.  Je pense que le printemps arabe est un mouvement qui est à la fois profond et extrêmement complexe, puisque il y a plusieurs printemps arabes dans la mesure où certains pays n’ont pas connu de mouvement révolutionnaire et qui accomplissent de grandes réformes et une évolution sociale. C’est le cas notamment du Maroc. Il y a aussi des pays où le printemps arabe a apporté la révélation. Tout d’un coup, l’on découvre la richesse d’une jeunesse, d’un peuple, de ses femmes qui ont été muselées… c’est le cas de la Tunisie. Ensuite, il y a la situation de la Libye, qui est très singulière, parce que Kadhafi s’était attelé à faire disparaître tout ce qui ressemblait à un Etat. Du coup, on a aujourd’hui un pays qui mérite tous nos soins parce qu’il fait partie du Maghreb arabe. Il faut éviter toute tentation de voir la Libye se tourner uniquement vers l’Est. Ensuite, il est clair que l’attitude d’Israël par rapport à la colonisation en Palestine et la guerre en Syrie compliquent la situation… S’y ajoute l’influence des pays du Golfe dans l’espace méditerranéen. Il ne faut pas oublier que la France n’est pas seulement partenaire du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Mauritanie et de la Libye uniquement par rapport à la Méditerranée, mais aussi par rapport au sud de ces pays avec ce qui se passe au Sahara et au Sahel où la France se bat avec les Maliens. Tout cela pour dire que la Méditerranée est devenu un problème immense et très complexe. Face à cette situation, on devra essayer de commencer par de petits pas, des solutions modestes où l’on n’évoque plus de grands organismes tant méditerranéens ou euro-méditerranéens. L’UPM est là, elle existe. Elle n’a pas tout à fait disparu. Mais surtout essayons de voir si dans le bassin occidental de la Méditerranée, et à partir des régions, on peut trouver des réponses qui sont adaptées à une situation sociale qui est très difficile et très préoccupante et qui d’ailleurs, bien souvent, a été la raison des printemps arabes.

- A travers vos négociations au Maroc, avez-vous identifié des pistes concrètes de projets ?
- Tous les secteurs que vous avez signalés ont été évoqués. Maintenant, je ne suis pas membre du gouvernement. Le président Hollande m’a demandé non pas une expertise, mais l’avis d’un honnête parlementaire qui  plus est un amoureux de  la Méditerranée et qui pense que l’on a une communauté de destins, que l’Europe devra se construire avec l’espace méditerranéen. Par conséquent, nos destins sont liés. Ils le sont d’autant plus qu’il y a une diaspora très importante dans une région comme celle que je préside et qui compte 5 millions d’habitants avec une présence ethnique et culturelle très importantes de personnes d’origine maghrébine. Ce qui m’a frappé à travers les différentes rencontres, c’est que toutes les personnalités, les ministres, les opérateurs économiques… me parlent d’une préoccupation. Celle des problèmes posés par la jeunesse et l’inexistence d’une formation professionnelle adaptée à une masse de jeunes au bord de la désespérance. Donc il y a urgence pour la paix sociale et l’avenir de nos pays à réintégrer cette jeunesse qui représente une force vive et une capacité démographique importante au Maghreb. Du côté européen, c’est le même problème qui se pose même si l’Europe n’a pas le même type de démographie. Mais justement, les démographies sont complémentaires si l’on veut bien les considérer comme tel. L’inverse fait le lit de la montée de l’intégrisme, le racisme et le rejet de l’autre dans les deux sens.

- Justement, quelles sont les pistes de réflexion pour l’emploi ?
- Sur l’emploi, il y a deux choses. L’une consiste à voir comment nous pouvons créer des outils relativement simples qui nous permettent de rapprocher, par des co-localisations, des co-constructions, des instruments qui permettent de répondre à la nécessité d’une formation professionnelle adéquate. C’est ce qui permettra de trouver du travail à des milliers de jeunes. Il est paradoxal d’avoir une inadéquation entre des offres de travail et des jeunes qui sont désespérés. C’est un problème massif et qui appelle une réponse urgente. Et c’est la première chose sur laquelle devraient se pencher la France et le Maghreb. Le second aspect concerne les étudiants, qui vont très loin dans leurs études mais qui ne trouvent pas de travail. Ce phénomène, je le vois en France, au Maroc, en Algérie, en Tunisie…

- A propos des jeunes, il y a encore des problèmes liés à la mobilité et au visa…
- Evidemment je ne suis pas le ministre de l’Intérieur. Je ne suis pas non plus Monsieur Guéant (rires). Mais je pense que Manuel Valls mène une réflexion dans ce domaine. En tout cas ce que je proposerai au président de la République, c’est  d’avoir une libéralisation de cette politique. Car on ne peut pas demander aux pays de cet espace la liberté de circulation des capitaux et puis empêcher la liberté de circulation des personnes. Moralement, c’est scandaleux! Même sur le plan de la bonne gestion de la société méditerranéenne, c’est stupide. Car l’on se prive de toute une jeunesse, une  force vive qui se sent rejetée par une Europe qui tient des discours moralisateurs, qui donne des leçons… Sur ce sujet, et sans toucher  aux accords Schengen, il est possible de trouver des solutions avec les autres pays de l’espace européen, notamment sur la formation professionnelle et les statuts d’un certain nombre de personnes. Il y a aussi toute cette diaspora qui peut jouer un rôle considérable, qui amène beaucoup de richesse humaine à la France. Cette diaspora qui porte deux cultures peut jouer un rôle à l’avant-garde de toute une jeunesse d’origine maghrébine. Sur le même registre, il y a une réflexion très sérieuse à mener sur l’enseignement de l’arabe en France. D’ailleurs, l’Etat français est à cœur d’ouvrir l’école laïque à  l’enseignement de l’arabe en France, pour ne pas laisser l’apprentissage de cette langue confiné aux seuls lieux de religion. Pour la mobilité de personnes, je pense à des outils, notamment via des formations professionnelles co-construites. En clair, des outils reconnus parce que co-construits à la fois du côté maghrébin, français et européen.  Ces outils seront délivrés par des diplômes ou certificats et permettront aux jeunes d’avoir accès au visa, à la circulation et la mobilité nécessaires pour des stages, de la formation… Il y a aussi un savoir-faire dans l’agriculture et l’artisanat marocain et tunisien, la décoration d’intérieur. Politiquement, c’est très important qu’il y ait une mobilité dans les deux sens.

- Quels sont les rôles assignés au Maroc et à la France pour soutenir «La Méditerranée des projets» ?
- En France en tout cas, je n’ai pas de leçons à donner à quiconque. Mais pour mon pays,  il y a en ce moment non seulement une crise financière et sociale, mais aussi une crise morale. La démocratie du temps de Mitterrand était une chose. Aujourd’hui, il y a les défis de la mondialisation qu’il faut relever. Il y a aussi les nouvelles techniques de l’information et de la communication qui ont tout bouleversé. Elles peuvent être des instruments de servitude comme de libération. Aujourd’hui, nous sommes face à une nouvelle situation et nous avons besoin pour  régénérer la démocratie représentative d’une démocratie participative… Et puis il y a le rôle que doit jouer une société civile qui pousse en ce moment les portes et qui a envie de comprendre, d’être consultée et respectée.
Par Amin RBOUB – Source de l’article l’Economiste

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