Entretien avec Menouar Alem, ambassadeur et chef de la mission du Royaume auprès de l’Union européenne


Entretien avec Menouar Alem, ambassadeur et chef de la mission du Royaume auprès de l’Union européenne
“Le Maroc et l’UE vont donner une nouvelle impulsion à leur processus de rapprochement et d’intégration”
 Entretien avec Menouar Alem, ambassadeur et chef de la mission du Royaume auprès de l’Union européenne
Alem Menouar a été nommé ambassadeur en 2004 auprès de la Commission des communautés européennes et du Conseil de l'Union européenne. Diplomate averti et connaisseur des relations entre le Maroc et l’Union européenne pour avoir exercé dans plusieurs pays du Vieux Continent et surtout celles qui ont un caractère économique. Il a occupé des postes en France, au Danemark et a été directeur des Affaires européennes au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération.
Né en 1955, Menouar est titulaire d'une maîtrise en sciences économiques  ainsi que d'une licence en économétrie. Il a effectué un stage de formation aux techniques de négociations commerciales et multilatérales à l'Institut international de l'administration publique.
Un parcours qui en dit long sur l’expérience et la maîtrise du dossier des relations entre l’Union européenne et le Maroc. Il livre à « Libé » dans cet entretien, réalisé à Bruxelles, ses points de vue, ses commentaires, et sa vision sur ses relations et les perspectives d’avenir du partenariat entre les deux parties. Entretien.

Libé: En tant qu’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, quelle évaluation faites-vous des relations entre le Maroc et l’UE ?

Menouar Alem : Le Maroc et l’Union européenne entretiennent des relations de longue date, approfondies et diversifiées. Elles se sont développées à la fois à la faveur de l’intégration européenne et du processus de modernisation institutionnelle, démocratique et économique du Maroc. Les deux partenaires ont toujours démontré une volonté commune de renforcer leurs liens, notamment en instaurant des mécanismes et instruments de coopération afin de multiplier les créneaux de partenariat.
Parties d’un simple accord commercial entre le Maroc et la CEE en 1969, ces relations se sont élargies à un Accord de coopération en 1976, et se sont davantage enrichies et étoffées à la faveur de l’adoption de l’Accord d’association en 1996, du Plan d’action de voisinage en 2005 et de l’octroi au Maroc d’un Statut avancé auprès de l’UE en octobre 2008, répondant ainsi à l’appel de Sa Majesté le Roi à un nouveau cadre contractuel avec l’UE qui aille au-delà de l’accord d’association vers un peu moins que l’adhésion et pour reprendre la réponse de M.Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, « tout sauf les institutions ».
Ce choix stratégique opéré par le Maroc dans son ancrage avec l'Europe se poursuit à travers la finalisation du projet du Plan d'action sur le Statut avancé et de l'Accord sur le commerce des services, la conclusion d'un partenariat sur la mobilité et la négociation de l'Accord de libre-échange complet  et approfondi dans la perspective d'établir un nouveau lien contractuel ambitieux et mutuellement bénéfique.
Ces relations sans cesse évolutives et tournées vers l’avenir, sont à percevoir, aujourd’hui, dans le cadre du partenariat privilégié, stratégique et multidimensionnel qui unit les deux parties au plus haut niveau et dans tous les domaines d’activités aussi bien politiques qu’économiques, sociales et humaines, tant au niveau bilatéral qu’aux niveaux régional et international.
Au niveau bilatéral: les deux parties entretiennent dans le cadre du Conseil d’association, un dialogue politique régulier et structuré. L'UE est le 1er partenaire commercial du Maroc avec un volume d’échanges de plus de 23,69 milliards € en 2011. Elle est la 1ère source d’investissements étrangers et est la 1ère source en termes d’appui budgétaire aux politiques de développement initiées par le Maroc.
Plusieurs accords jalonnent cette relation dans les domaines de la pêche, de l’agriculture, du transport aérien, du règlement des différends.
Le Maroc a pu accéder également à différents programmes et agences européens jadis réservés quasiment aux seuls membres de l’UE.
A cela s’ajoute une dynamique nouvelle, centrée sur la dimension humaine avec comme objectif d’assurer une meilleure mobilité des personnes, notamment par l’allègement des procédures d’obtention des visas.
Sur le plan régional et international : le Maroc et l’UE entretiennent des rapports de concertation et de coopération de haut niveau  dans tous les fora régionaux et internationaux  tels que l’UPM, les Nations unies et les organisations affiliées, et ce, sur toutes les questions d’intérêts communs, tels que les droits de l’Homme, l’intégration régionale,  la sécurité,  le désarmement et la non-prolifération, la lutte contre le réchauffement climatique et la concrétisation des objectifs du Millénaire.
Forts de ces acquis, le Maroc et l’UE sont actuellement dans une phase exploratoire visant à donner une nouvelle impulsion à ce processus de rapprochement et d’intégration qui ira au-delà de l’Accord d’association et consacré par l’aboutissement du plan d’action du Statut avancé.
 
Les négociations sur l’accord de libre-échange ont repris à Rabat. Qu’attend le Maroc de ce nouvel accord avec l’Union européenne ?

L’Union européenne et le Maroc ont entamé, le 22 avril dernier à Rabat,  la première session des  négociations en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange complet et approfondi entre les deux partenaires (ALECA), moins de deux mois après la visite de  M. José Manuel Barroso à Rabat le 1er mars 2013 au cours de laquelle l’annonce officielle de son lancement a été faite.
Le Maroc est le premier pays méditerranéen  avec lequel l'UE lance des négociations sur un accord de libre-échange complet et approfondi. L’objectif est de revaloriser l’accord d’association existant, qui a déjà  atteint sa phase finale de démantèlement tarifaire, le 1er mars 2012.
Cet accord vise à approfondir les relations économiques existantes dans toute une série de domaines qui ne sont pas encore couverts, tels que:
  • Défense commerciale 
  • Transparence
  • Concurrence 
  • Douane et facilitation des échanges
  • Energies liées au commerce
  • Obstacles non tarifaires et obstacles techniques au commerce
  • Droits de la propriété intellectuelle
  • Mesures sanitaires et phytosanitaires
  • Services, droits d’établissement et mouvements de capitaux
  • Marchés publics
  • Commerce et développement durable
L'accord approfondira les  relations économiques dans l'intérêt des  citoyens, des entreprises, des sociétés des deux parties. Ce nouveau cadre, plus dynamique et plus concurrentiel, devrait améliorer l’accès au marché, l'environnement des affaires et augmenter substantiellement les investissements directs étrangers au Maroc.
La finalité de ce processus étant l’émergence d’un espace économique commun qui passera nécessairement par la conclusion d’un Accord de libre-échange complet et approfondi, le rapprochement réglementaire avec le marché intérieur de l’UE, le renforcement de la coopération sectorielle et la mise en réseaux dans les domaines du transport, de l’énergie et NTI.

Quel regard portez –vous sur la position de l’UE au sujet de la question du Sahara marocain ?

Toutes les  institutions européennes,  Commission, Conseil, Comité des régions, Conseil économique et social ont une attitude positive et bienveillante  vis-à-vis de notre pays  comme en témoigne la Déclaration de l’Union européenne  à l’occasion du 10ème Conseil d’association.
Concernant la question nationale, la position de l'UE a toujours été empreinte d’objectivité et de modération. Dans ce sens, et à plusieurs occasions,  l'UE a affirmé  son attachement au règlement du conflit du Sahara et a exprimé son plein soutien aux efforts du Secrétaire général de l'ONU et de son envoyé personnel pour aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable. A cet égard, l’UE a apprécié la proposition d’autonomie présentée par le Maroc comme voie vers une solution politique telle que demandée par le Conseil de sécurité de l’ONU et la communauté internationale.
De même, l’UE s’est  félicitée de la constitutionnalisation du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) et de l’élargissement de son rôle en matière de surveillance et de défense des droits humains, y compris dans nos provinces du Sud.
L’UE n’a pas manqué, également, de saluer les avancées démocratiques du Maroc,  que ce soit l’adoption de la nouvelle Constitution en juillet 2011, la tenue d’élections législatives transparentes, la réforme de l’organisation judiciaire au Maroc ou la mise en place d’une régionalisation avancée.
Cependant, au sein du Parlement européen, nous déplorons l’existence d’un groupuscule d’eurodéputés viscéralement hostile au Maroc dans tous les domaines et notamment notre question nationale. Niant toutes les avancées réalisées par le Maroc notamment dans le domaine des droits humains pourtant saluées par leurs confrères, l’ensemble des autres institutions de l’UE et le Conseil de l’Europe, ils font preuve d’une cécité et d’un silence coupable devant les exactions, les trafics de tous genres, le détournement de l’aide humanitaire, l’esclavage et les violations de droits de l’Homme manifestes et quotidiennes perpétrées par les autres parties à l’égard de nos concitoyens séquestrés dans les camps de la honte dans le sud de l’Algérie.  
Usant de tous les artifices juridiques et des lacunes dans le mécanisme interne du Parlement européen, ces eurodéputés tentent de saper l’évolution vertueuse et remarquable des relations entre le Maroc et l’UE.

La diplomatie marocaine a-t-elle évolué dans la gestion de ce dossier ? Et que préconise-t-on pour être plus efficace sur la scène politique ?

Deux éléments fondamentaux président à l’action de la diplomatie marocaine dans le traitement du différend autour du Sahara marocain :
  • l’adhésion légitime, unanime et immuable du peuple marocain dans toutes ses composantes politique, parlementaire et la société civile autour de Sa Majesté le Roi.
  • privilégier la voie diplomatique pour l'achèvement de l'intégrité territoriale du pays telle qu’elle fut utilisée pour la rétrocession des autres régions, Tarfaya et  Ifni notamment.
La diplomatie marocaine a évolué, convaincant la communauté internationale de son bon droit. Ainsi, les Nations unies, conscientes de l’inapplicabilité d’un référendum relevée par plusieurs envoyés personnels du secrétaire général, ont proposé aux parties d’adopter une solution politique. Répondant à cet appel, la proposition du Plan d’autonomie pour la région du Sud marocain présentée par le Maroc,  est en parfaite  adéquation avec le principe d’autodétermination. Je rappelle que l’ONU, dans le traitement de toutes les questions de ce type, a très peu utilisé l’option référendaire et beaucoup plus souvent la solution politique.
Cette action diplomatique de par sa justesse a engendré des succès qui se sont traduits par des retraits de la part de nombreux pays de la reconnaissance de la fantomatique «Rasd» et par le retour au Maroc de tous les membres fondateurs et hauts responsables du Polisario ainsi que  de nombreux concitoyens sahraouis souvent au péril de leur vie.
 La récente résolution adoptée au Conseil de sécurité vient ici confirmer la justesse de notre politique étrangère initiée et conduite avec sagesse par Sa Majesté le Roi. Politique, comme dans toutes les grandes démocraties dans le monde, qui relève des compétences du chef de l’Etat, garant de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays.
Aujourd’hui, la diplomatie ne se résume plus à sa seule dimension officielle. Elle doit être accompagnée également par d’autres acteurs, parlementaires et associatifs. Dans ce cadre-là, le réservoir au Maroc est grand et crédible : un Parlement démocratique, une société civile très dynamique et une communauté marocaine à l’étranger profondément attachée à son pays d’origine.

Beaucoup de Marocains ont réussi à percer la vie politique belge et occupent des postes de responsabilité. Ils sont devenus un modèle d’intégration en Europe. Quel commentaire pourriez-vous faire à ce propos ?

Le premier commentaire que je voudrais faire à propos du succès du modèle d’intégration en Belgique est que cette politique d’intégration repose sur deux éléments clés : l’ouverture du champ politique aux étrangers dans la gestion des affaires locales. La politique garante des droits et devoirs de tout citoyen joue un rôle à mon sens important dans l’intégration des communautés étrangères. Le deuxième élément est la répartition géographique de cette communauté étrangère dans la ville et quelque fois au cœur même de la ville. Ceci contraste avec les cités dortoirs aux périphéries des villes dans d’autres pays européens excluant de facto toute diversité culturelle.
Les Marocains de Belgique, comme chacun le sait, se sont établis dans ce pays depuis un demi-siècle en vertu de l’accord belgo-marocain du 17 février 1964 et ce, afin de renforcer la main-d’œuvre notamment dans les domaines de la sidérurgie et des mines. Nous commémorons cette année le 50ème anniversaire de la présence de cette communauté en Belgique.
De nos jours, la communauté marocaine de Belgique, tout en s’intégrant de façon réussie dans la société belge, demeure, pourtant, très attachée à ses racines marocaines dont elle reste fière.
Les Marocains de Belgique, comme l’on peut constater, se sont engagés politiquement dans leur pays d’accueil et bon nombre d’entre eux ont acquis la nationalité belge, ce qui leur confère davantage de droits.
Politiquement parlant, on remarque une représentativité de plus en plus marquée de la communauté marocaine, avec un certain nombre d’élues et d’élus devenus échevins, députés, sénateurs, ministres et très bientôt je l’espère bourgmestres.
Le dynamisme de cette communauté marocaine ne se reflète pas uniquement dans le champ politique mais également dans les domaines économique, culturel, sportif, humanitaire et des médias avec une mention particulière pour la composante féminine de cette communauté.
L’ambassade du Royaume du Maroc auprès du Royaume de Belgique ainsi que les trois consulats du Maroc à Bruxelles, Anvers et Liège concourent et de manière prioritaire à défendre, partager et recueillir les compétences  de cette communauté qui constitue un véritable pont reliant les deux royaumes.

Entretien réalisé par Kamal Mountass – Source de l’article Libération Maroc

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