Pour une politique française en Méditerranée

Une tribune de la Fondation Res Publica, parue dans les pages Rebonds de Libération ("Les enjeux de 2012"), lundi 7 mars 2011.
Les révolutions et mouvements populaires qui réveillent le monde arabe appellent à un renouveau de notre politique méditerranéenne. Non pour se répandre en jugements, repentances et exhortations. Mais pour marquer que la République, héritière de 1789, exprime clairement et concrètement son soutien à ces révolutions de la liberté
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Il ne s’agit pas de jeter aux orties tout ce qui a été accompli depuis les indépendances, mais d’accompagner les peuples qui ont décidé d’ouvrir une nouvelle page. La France doit se réveiller aussi et mieux affirmer son rôle en Méditerranée. Exigence depuis quelque temps perdue de vue, absorbés que nous étions par les questions de la « mondialisation », de la crise, de la monnaie, du G8, du G20, des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine.
Les événements nous ramènent à notre géographie – cette Méditerranée nous est commune – à notre histoire qui nous a mêlé de près au destin des peuples libanais, syrien, égyptien, tunisien, marocain, algérien. Pour le pire comme pour le meilleur. Il existe une politique communautaire, celle du processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée ; elle se heurte à beaucoup d’obstacles. Elle ne nous dispense pas de définir ce qui est nécessaire à une politique de la France dans cette région.

Des objectifs et intérêts convergents
Notre objectif est évidemment l’affermissement des valeurs démocratiques à partager : la liberté, l’égalité, le respect d’autrui, la fraternité. Cet objectif est indispensable à la stabilité et à la sécurité de la région.
Il est indissociable du développement économique. Les lenteurs de celui-ci, l’injustice, la pauvreté nourrissent la violence. Le chômage de masse, l’absence de perspectives pour la jeunesse forment le terreau du ressentiment, dans lequel peuvent puiser aussi bien des stratégies de renouveau que des courants extrémistes, à commencer par l’islamisme radical. Notre choix doit être d’encourager les vecteurs de modernité dans le monde arabo-musulman. Ils sont nombreux : milieux éduqués, professeurs, journalistes, entrepreneurs, souvent militaires…
Notre préoccupation économique visant à développer et amplifier les échanges commerciaux est mutuelle. Pour la France, la concurrence est rude, certes, mais le développement des pays riverains se traduit par un accroissement des échanges. Dans un moment où, comme les autres pays de la zone euro, nous sommes réduits à une croissance ténue, ces perspectives sont stimulantes.
Cet objectif répond enfin à notre responsabilité en tant que seul Etat méditerranéen membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous devons peser dans les dossiers clés : conflit israélo-palestinien bien sûr, mais aussi question de Chypre ou du Sahara occidental et réforme des Nations Unies. A nous de faire appel à notre connaissance de l’histoire et des pesanteurs et des susceptibilités nationales.

La France n’a aucune ambition dominatrice. Le colonialisme et l’esprit de colonie sont morts. Il nous reste la meilleur part des choses : l’attrait indéfectible que font naître une vieille relation, l’attirance mutuelle – comme on dit au Sud – des deux moitiés d’orange, que la littérature, la peinture, la poésie, la musique ont portée très haut.

Le rapprochement économique : investir
La plupart des pays de la rive Sud ont un immense besoin d’emplois et d’activité. Les récents événements ont secoué l’indifférence, mais à la vérité, il faudrait se demander comment dans ces pays on avait évité jusque là l’explosion sociale ! Même si la transition démographique est en cours, des générations très nombreuses arrivent sur le marché du travail et n’y trouvent pas de débouchés.
Pour la Banque Mondiale, le Maroc a besoin de créer 400 000 emplois en dix ans, l’Algérie 450 000, la Tunisie 300 000. Le rythme actuel est en dessous de la moitié des besoins. Le démantèlement de l’accord multi-fibres européen, au nom d’un libéralisme dogmatique, a été une catastrophe sociale pour la rive sud.
Aujourd’hui seuls 2% des investissements européens se font au sud de la Méditerranée. C’est dire la nécessité d’une vigoureuse politique publique d’encouragement à des investissements qui contribueront à la création d’emplois. Un système de garanties d’investissement pourrait débloquer beaucoup de projets de nos grandes PME qui souhaitent s’installer dans les pays riverains.

Préférence méditerranéenne
Une politique de coopération doit porter évidemment sur l’énergie, entre pays producteurs et pays consommateurs, et passer d’une simple relation client-fournisseur à un partenariat plus complet. Elle peut porter sur l’agriculture : éviter le gonflement de banlieues en tâches d’huile autour des villes, sans emploi et sans horizon, suppose de fixer les populations rurales en leur assurant de pouvoir vivre de leur travail.
La rive Nord et la rive Sud ne sont pas en concurrences sur beaucoup de produits agricoles. Une préférence méditerranéenne pour certaines productions serait une mesure de prévoyante intelligence. Instituer entre l’Europe et la Méditerranée une zone préférentielle pour les échanges constitue un horizon accessible ! Certes il faudra contrevenir au dogme du libre-échangisme intégral, mais celui-ci doit fléchir devant l’urgence et la nécessité.
La coopération doit porter aussi sur l’eau, bien rare, dont la gestion – de la production à l’assainissement – nécessite de gros investissements. Dans le domaine de la recherche et l’Université, l’insuffisance du travail en commun est criante entre pays francophones.
Il y a le programme CampusFrance, mais à quand un programme Erasmus en Méditerranée permettant aux étudiants de troisième cycle d’effectuer une partie de leurs études supérieures dans un établissement français, égyptien, algérien… ? Cette coopération doit être aussi culturelle : dans le domaine de l’édition, du cinéma, de la télévision, il y a beaucoup à faire, même si les pistes sont à présent connues et défrichées.

Faire de la politique
Enfin, nous avons besoin, en Méditerranée, de faire de la politique. Dans le monde globalisé, il faut pouvoir peser. Les blocs d’antan étant dissous, nos solidarités méditerranéennes doivent compter face aux intérêts américains ou chinois. L’Union pour la Méditerranée a tenté d’enjamber le conflit israélo-palestinien en réunissant autour de la même table l’Union européenne, la Turquie, Israël et les pays arabes. Mais la réalité a le dernier mot. Ce conflit est trop central pour être traité par prétérition.
La France doit adopter une position de principe : si la politique de colonisation rend impossible la constitution de deux Etats vivant côte à côte, proposons un Etat binational israélien et palestinien où le principe de citoyenneté s’appliquera. Si les Israéliens refusent cette perspective, amenons-les alors à accepter un Etat palestinien vraiment viable et faisons en sorte, par la coopération internationale, que la réinstallation des 300 000 colons soit résolue. Deux Etats ou un Etat binational : c’est aux Israéliens de choisir.
Là s’ancrera une ferme position de principe, qui devra sans doute être accompagnée d’engagements précis sur des garanties de sécurité, impliquant la participation des grandes puissances, y compris les Etats européens et les Etats-Unis, à une force multinationale (rappelons qu’il en existe une, au Sinaï, entre Israël et l’Egypte).
Le statut de double capitale pour Jérusalem est déjà admis. Un régime de garanties internationales pour l’accès aux lieux saints et leur préservation peut être mise en œuvre ; songeons aussi que la proposition de Régis Debray de fixer le siège des Nations-Unies à Jérusalem et d’en faire ainsi un foyer de paix est intelligente.
Bien entendu, les Européens doivent aussi balayer devant leur porte : l’expérience de la conception de l’Union pour la Méditerranée a montré qu’il fallait convaincre les Allemands : avec eux, on en restera au processus de Barcelone ; sans eux, on n’avancera guère. Mais n’est-ce pas le rôle de la France que de rappeler nos responsabilités communes envers le Sud ?
Il serait sage, en conservant la « machine à projets » qu’est l’UPM, de renforcer les liens à 5 + 5, c'est-à-dire en Méditerranée occidentale. Entre les pays du sud de l’Europe et les pays du Maghreb, les liens sont puissants.
Ils le sont davantage encore quand la France est fidèle aux idéaux républicains, quand l’Algérie se souvient qu’elle est algérienne, le Maroc, marocain, la Tunisie, tunisienne, c'est-à-dire quand la pluralité des apports historiques est comprise comme une force non une faiblesse, une capacité à intégrer sans complexes la dimension méditerranéenne.
L’heure d’un renouveau de la politique méditerranéenne a sonné pour la France. Il est urgent de prendre la mesure des immenses bouleversements qui commencent avec le réveil arabe. D’en être co-acteur avec les peuples qui se tournent vers ce nouvel avenir.
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Présidée par Jean-Pierre Chevènement, la Fondation Res Publica est reconnue d’utilité publique depuis 2005. Ses contributions les plus récentes portent sur l’avenir de la zone euro, la nécessité d’un système monétaire international repensé, la mise en place de protections commerciales, ou encore la politique de l’Allemagne en Europe. Voir le site: http://www.fondation-res-publica.org/
Ce texte est le troisème d'une série que la Fondation Res Publica publiera dans les pages Rebonds de Libération au cours des prochains mois dans la thématique "Les enjeux de 2012".
Source - http://www.fondation-res-publica.org/Pour-une-politique-francaise-en-Mediterranee_a534.html
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