Méditerranée : les affaires continuent

Ralentissement de l’activité, tensions sociales, instabilité politique… Malgré tout, les entreprises françaises travaillent.

Les entreprises, c’est connu, détestent le manque de visibilité, l’instabilité, les incertitudes en tout genre. Les françaises comme les autres. Ces temps-ci, sur le pourtour méditerranéen, elles ont été servies ! Déprédations – parfois –, blocage des sites, problèmes logistiques entravant échanges et livraisons, évaporation des salariés occupés à faire la révolution… Voilà pour les conséquences immédiates du printemps arabe telles qu’elles se sont fait sentir en février.

Demain, ce sont d’autres problèmes qui se profilent, et ils pèsent d’autant plus lourd que les entreprises fran çaises sont nombreuses ; sur le pourtour méditerranéen, 3 000 sociétés françaises emploient environ 300 000 salariés. Les financements bancaires français y atteindraient la somme de 36 milliards d’euros, et les projets foisonnent.

Premier cas, le plus “lourd” puisqu’il tourne maintenant à la guerre civile, celui de la Libye. Dans ce pays riche de considérables réserves pétrolières, les entreprises françaises étaient présentes du dessalement de l’eau de mer à la construction d’infrastructures, en passant par l’exploitation pétrolière.

Aujourd’hui, toutes ont plié bagages et s’efforcent de minimiser le coût de ce départ précipité. Pourtant, rapatriement des salariés, réorganisation des postes pour leur accueil, recours aux assurances pour une éventuelle indemnisation du risque et des pertes, tout reste à faire… Vinci, major français du BTP, explique ainsi qu’elle n’avait “que” deux chantiers actifs en Libye, celui de la tour de contrôle de l’aéroport de Tripoli, et un autre opéré par sa filiale, Entrepose Contracting, à Syrte. Dans le premier cas, tout était quasiment terminé. Quant au second chantier, sans surprise, il attendra des jours meilleurs.

Malgré le voisinage géographique, la situation de la Tunisie est toute différente. Ici, les déprédations ont été mineures et la sécurité est – presque– partout rétablie.

Certaines entreprises, pourtant, sont touchées dans leur organisation capitalistique même : obligées d’avoir un partenaire tunisien, bon nombre d’entre elles étaient partiellement possédées par “la famille”. Ainsi de la filiale de distribution de Peugeot, dont une part de capital – 66 % – appartenait à un gendre de l’ex-président… Aujourd’hui nationalisée de fait, cette part majoritaire de capital restera-t-elle entre les mains de l’État tunisien ? Sera-t-elle revendue ? On n’en sait encore rien. Sodexho serait dans un cas similaire.

D’autres voient leur chiffre d’affaires directement affecté par le ralentissement de l’activité : les touristes, aux premières turbulences, ont choisi d’autres plages pour parfaire leur bronzage, laissant les hôtels vides. Les donneurs d’ordres, dans l’automobile et le textile, ont vite fait de se tourner vers d’autres fournisseurs si les livraisons sont ralenties ou entravées. « Les sociétés de l’habillement s’adressent à la Turquie si leurs fournisseurs leur paraissent trop peu réactifs ! » affirme un analyste local. Ils reviendront, car ces ateliers sont efficaces, notamment en matière de contrôle-qualité. Mais en attendant… »

En attendant, autre inconnue, que deviendront les projets des anciennes autorités, qui portaient presque toujours sur la capitale et ses environs, alors que le gouvernement de transition a affirmé faire du désenclavement du centre du pays une priorité ? Et le fameux statut off-shore, qui permet aux entreprises de ne pas payer d’impôts pendant dix ans, sera-t-il maintenu ? Les entreprises s’étaient engouffrées dans ce statut très avantageux…

Autre motif d’inquiétude : les revendications sociales. L’UGTT, le plus important des syndicats tunisiens, montre ses muscles face à un patronat désorganisé. Un contexte de tensions sociales qui ne fait guère l’affaire d’entreprises mises en difficulté par le ralentissement du moment…

En Égypte aussi, la France figure aux tout premiers rangs des investisseurs étrangers, notamment depuis le rachat en 2008 d’Orascom Cement par Lafarge pour 8,8 milliards d’euros. Au total, on y dénombre 500 entreprises françaises – dont 120 filiales – qui emploient 50 000 personnes, dans la banque, le tourisme, la distribution et l’environnement.

Quelques ralentissements y ont été inévitables, même si le pays s’est remis à tourner très vite après la révolution dite ici du papyrus. Là encore, la paix sociale pourrait devenir une préoccupation, alors que certaines entreprises ont déjà consenti des augmentations de salaire pouvant aller jusqu’à 30 %. Pourtant, les difficultés sont aujour d’hui d’ordre essentiellement administratif : avec des services décapités quand leurs dirigeants étaient proches de l’ancien régime, les entreprises ont perdu certains de leurs interlocuteurs.

On aurait tort de conclure pour autant que les entreprises françaises, même bousculées, songent à renoncer à leurs courants d’affaires ou à leurs projets. Ils foisonnaient avant les révolutions, ils se remettront très vite sur pied. À la fin 2010, la Société générale annonçait la création de plusieurs dizaines d’agences dans le Maghreb. Airbus, qui prévoit un investissement massif viasa filiale Aerolia, devrait ainsi dynamiser une filière aéronautique déjà très présente en Tunisie. En Égypte, toujours à la fin 2010, Saint- Gobain a investi plus de 130 millions d’euros dans une nouvelle usine de verre plat.

À cette constance des entreprises, une raison toute simple : le marché est là, et la croissance aussi. Poussée démographique aidant, le Maghreb constitue une clientèle qu’il ne s’agit pas de négliger. Renault, qui construit une vaste usine modèle à Tanger et recrute à tour de bras, ne s’y trompe pas. À partir de 2012, l’usine sortira 170 000 Logan par an pour servir une Afrique du Nord qui voit sa capacité de consommation s’accroître année après année. Les perspectives sont également prometteuses dans une Égypte où la croissance devrait rebondir à 5,5 % cette année, selon l’ambassade de France au Caire. « La capitale est bouillonnante ; il y a beaucoup de besoins de rénovation, de modernisation. À terme, on sait bien que les activités économiques sont toujours dans le vert », affirme une porte-parole de Lafarge.

“Nous sommes maintenant dans un État de droit”
L’oeil fixé sur les courbes avantageuses des économies maghrébines, Pierre Lellouche, secrétaire d’État au commerce extérieur, en devient presque lyrique : « Restez », s’écrie-t-il, s’adressant aux entreprises françaises, « Restez pour aider les peuples qui ont conquis leur liberté. » Et “restez” pour continuer à faire de bonnes affaires.

Plus pragmatique, Mehdi Houas, ministre tunisien du Commerce et du Tourisme, s’est montré tout aussi encourageant lors de sa visite à Paris la semaine dernière : « Nous sommes maintenant dans un État de droit, les entreprises vont pouvoir construire avec plus de sérénité… »

Côté égyptien, les autorités s’efforcent aussi d’aider leurs investisseurs pour mieux les garder : une cellule de crise a ainsi été mise en place pour résoudre les problèmes de logistique, de protection des sites, de dédouanement, etc.

L’Europe, mais aussi d’autres bailleurs de fonds – Banque mondiale, Banque africaine de développement…– devraient à des degrés divers soutenir le développement né du printemps arabe. Si la diplomatie française a connu quelques ratées face aux révolutions, peut-être ses entreprises sauront-elles mieux tirer profit du nouvel élan.
Par Christine Murris - http://www.valeursactuelles.com
- le 16 mars 2011
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