Méditerranée - Les révolutions arabes et la coopération euro-méditerranéenne

Difficile de poser un regard autre qu’interrogatif sur la situation dans le monde arabe tant l’inconnue demeure la seule certitude. D’un côté, les régimes autoritaires semblent se craqueler les uns après les autres - Tunisie et Égypte, donc mais aussi Jordanie, Algérie, Maroc, Syrie. De l’autre, les recompositions qui succèdent aux fragmentations ne préjugent pas de progrès supposés démocratiques.
Ce lundi, l’assemblé tunisienne a voté une loi permettant au Président tunisien de gouverner par décrets-lois : verrouillage et confiscation du pouvoir ou mesure visant « à écarter des dangers » - qui demeurent donc - pour la préservation des acquis du mouvement né le 17 décembre ? En Égypte, les Frères musulmans sont invités à la table de négociation. Un accord est trouvé pour réformer les institutions, mais même les experts les plus avisés sont bien en peine de fournir des éléments de prédiction.
Là ne sera donc pas le propos de ce billet. Contentons-nous de quelques remarques sur les effets attendus de cette nouvelle donne pour la coopération euro-méditerranéenne.

Crises de gouvernance à l'UpM
En ce qui concerne l’Union pour la Méditerranée (UpM), la mise hors-jeu du Président Hosni Moubarak est une catastrophe de plus pour le projet de Nicolas Sarkozy. Certes, celui-ci n’a pas attendu les manifestations de la place Tahrir pour agoniser. Les événements du Caire s’ajoutent à la longue liste des « difficultés politiques » qui ont bloqué le dialogue diplomatique pourtant supposé être contourné par la mise en œuvre de « projets concrets ».
Sur ce plan, la démission du Secrétaire technique de l’UpM, dans l’indifférence générale, a porté un nouveau coup à la dynamique projet. Ahmad Massa'deh explique son geste par l’absence de visibilité diplomatique qui a empêché par deux fois la tenue du Sommet.
On pourrait ajouter la vacuité des solutions financières disponibles qui a mis au chômage technique le Secrétariat dont les deux fonctions résidaient justement dans l’organisation du Sommet et dans la sélection et la labellisation de projets financés par les bailleurs publics et privés.
Ce double échec témoigne de l’erreur congénitale de l’UpM qui prétendait passer outre les blocages politiques par une dynamique de projets financés par les partenariats publics-privés.
Nicolas Sarkozy avait choisi Égypte de Moubarak pour partager avec lui la co-Présidence de l’UpM. Ce choix avait témoigné d'une autre méconnaissance des réalités méditerranéennes. Le montage institutionnel de l’UpM apparaît, ainsi, moins de trois ans après comme une triple erreur :
• en excluant les États-membres de l’UE non-méditerranéens du projet, il ignore le cadre politico-juridique de l’Union européenne (UE), braquant les Allemands qui interprètent la première mouture comme une « menace sur le projet européen » ;
• en substituant l’adhésion de la Turquie dans l’UE par une participation d’Ankara à l’UpM, il fragilise l’équilibre du processus du dialogue euro-méditerranéen en l’enfermant dans une logique euro-arabe anxiogène ;
• en choisissant Moubarrak comme co-Président, il empêche les pays de la rive Sud de désigner eux-mêmes un supposé représentant et il construit artificiellement un « bloc sud-méditerranéen » imputant une cohésion entre les pays des zones maghrébine et machrékine - sans évoquer la question de la représentation israélienne.

Selon un haut-fonctionnaire européen rencontré en décembre dernier :
« Nommer Moubarak co-Président, c’est une erreur constitutionnelle majeure puisque l’Union pour la Méditerranée était censée être paritaire avec une co-Présidence etc. Donc, la co-Présidence devait être le fruit d’un consensus. Et pourtant en décembre 2007, à la suite d’un voyage à Hurghada puis Charm el-Cheikh, il dit « et bien, ce sera Moubarak ». Mettez-vous à la place du Roi du Maroc qui doit s’incliner devant Moubarak, surtout quand c’est Sarkozy qui le dit. Ce choix est aussi une erreur tactique parce que Moubarak est un dictateur vieillissant d’un pays qui est en perte de vitesse depuis 10 ans et dont le seul avantage est qu’il a signé un Traité de paix avec Israël, mais qui entretient une politique extrêmement ambiguë avec Israël. Et puis, il n’y a pas d’homogénéité dans la zone. Le Roi du Maroc est commandeur des croyants, Moubarak se dit laïc, pour ne citer que ça »

Les investisseurs et le risque
Les mouvements qui secouent le monde arabe pourront également être interprétés comme une catastrophe pour l’UpM dans la mesure où ils renforcent la perceptions du risque que représente la zone pour les éventuels investisseurs. Tout se passe comme si l’émancipation démocratique freinerait les possibilités de croissance économique, révélant ainsi l’impensé des enjeux des libertés et des droits.
Échaudés par la crise argentine il y a une décennie qui avait vu Suez Environnement, par exemple, perdre plus de 700 milliards de dollars du fait de la désolvabilité qui avait frappé ses investissements et de son expoliation du marché, les investisseurs considèrent la rive Sud de la Méditerranée comme une zone de sous-traitance.
Les investissements directs étrangers qui ont survécu à la crise de l’automne 2008 demeurent cantonnés à des secteurs à faible valeur ajouté : nul transfert de technologie lorsque Hewlett Packard fait emballer des cartons de cartouche d’encre en Égypte, guère plus lorsque Renault fait assembler ses pièces à Tanger, préférant la Roumanie et la Turquie pour les usines de fabrication.
La raison ? L’absence de certitude sur le cadre réglementaire, juridique, fiscal et technique dans lequel ces entreprises vont opérer - par ailleurs renforcée par les dégradations des notes souveraines. Selon l’adage, si une entreprise est prête à prendre certains risques technologiques et économiques, elle est moins encline à en prendre sur le plan politique.
En Méditerranée, les espoirs démocratiques semblent rimer avec la fermeture des marchés. Le plus désespérant, c’est qu’au regard de l’évolution de la coopération euro-méditerranéenne et des choix politiques effectués depuis la fin des années 1990, cette articulation n’apparaît même pas comme paradoxale.
Par Nicolas Maisetti - Marseilleinternationale.com - le lundi 7 février 2011
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