Des ambitions pour la Méditerranée

La semaine dernière un groupe d’anciens chefs de gouvernement, ministres et hauts fonctionnaires du Nord et du Sud de la grande bleue, publiait dans les colonnes du Monde un manifeste : l’Union Pour la Méditerranée : une opportunité historique. Rencontre avec Pedrag Matvejevitch intellectuel, essayiste, écrivain et poète croate spécialiste de la Méditerranée dont la pensée et les écrits ont nourri les concepteurs de l’UPM.
Le projet de l’Union Pour la Méditerranée (UPM) vous semble-t-il réaliste au regard des conditions politiques et économiques régnant tout autour de la Méditerranée ?
J’ai fait la critique des projets précédents. D’abord celui du Plan d’Action pour la Méditerrané, lancé sous l’égide du programme des nations unies pour le développement (PNUE) en 1975 qui prévoyait le destin de la Méditerranée jusqu’en 2025 avec le Plan Bleu. J’ai confronté ce projet avec d’autres conventions et chartes mises en place depuis une cinquantaine d’années. Toutes se sont terminées sans grand résultat. Il en va de même avec la conférence de Barcelone de 1995 qui montre combien les meilleures idées et la meilleure volonté sont insuffisantes. Cette conférence s’est déroulée après la signature des accords d’Oslo de 1993 qui semblaient résoudre le conflit entre Israël et Palestine. Dans cette euphorie, on s’est permis d’aller très loin et d’imaginer une Méditerranée en paix, sans grand problème politique. Or, l’histoire a pensé autrement. Nous avons eu le 21 septembre 2001 qui a entraîné la fermeture des passages entre les deux rives de la Méditerranée. Ensuite il y a eu les attentats de Londres et de Madrid, et toute communication normale est devenue impossible. De ce fait, la conférence de Barcelone de 1995 est restée unilatérale, insuffisante et n’a pas donné les résultats escomptés. Aujourd’hui il faut tenir compte de ce qui s’est passé avant, des obstacles qui ont surgi, des implosions qui ont empêché le cheminement de ces grands projets.

Justement, de quelle manière l’Histoire pèse-t-elle sur le processus d’Union ?
Son poids dans la création de l’UPM est énorme et se présente comme un fardeau. Après la chute du mur de Berlin, l’Europe s’est souciée de la manière d’intégrer les pays de l’Est, mais elle n’a eu aucun regard pour la Méditerranée. Non seulement elle ne s’est pas tournée vers l’autre rive, mais elle ne l’a pas fait non plus pour sa propre Méditerranée. Un abyme s’est creusé entre la côte méditerranéenne européenne et l’arrière-pays. On l’a vu en Grèce, en France, en Espagne. On l’a vu surtout en Italie pays brisé entre son Sud et son Nord. L’Europe qui regardait seulement vers l’autre Europe sans se soucier de son alliance avec la Méditerranée, se devait de revoir sa politique, de porter un autre regard. Au début du processus de création du projet de l’UPM elle a manifesté nombre de réserves. Le nom d’Union méditerranéenne a été refusé par l’Allemagne. Alors on l’a changé pour « processus de Barcelone – Union Pour la Méditerranée », mais « processus de Barcelone » a été changé à son tour. Finalement on en est venu à Union Pour la Méditerranée. Ces changements de nom ne sont pas de purs caprices, ils proviennent de cette histoire et du poids que l’on porte.

Aujourd’hui comment peut-on dépasser tout ça ? Y a-t-il une identité méditerranéenne, un plus petit dénominateur commun à partir duquel construire une union ?
Commençons par l’idée d’identité. De nombreux penseurs et chercheurs sont d’accord sur une chose : l’identité ne peut être prise au singulier. Les vieux Romains disaient : « identiques mais pas uniques ». L’identité n’est pas une singularité, elle est beaucoup plus complexe, elle est faite de différentes couches, histoires, contributions, parfois opposées les unes aux autres. L’adjectif « identitaire » est devenu péjoratif. On parle d’« aspect identitaire », de « repli identitaire », des termes négatifs. Il n’existe pas d’homogénéité qui permettrait de prendre des résolutions communes, non seulement entre le Sud et le Nord, mais également à l’intérieur des pays eux-mêmes. En Algérie des dizaines de milliers de musulmans ont été tués par des musulmans, mais on pourrait parler aussi des tensions entre Maroc et Tunisie, du conflit entre Israël et Palestine ou encore prendre l’exemple de Chypre où les deux communautés n’arrivent pas à s’entendre, ou encore les Balkans…
Avant d’avoir une politique de toute la Méditerranée, il y a encore un long chemin à parcourir. De plus, la crise économique, rapide et universelle, ne permet pas de trouver les moyens de résoudre les contradictions. Nous savons très bien que les caisses européennes se sont vidées pour sauver l’Europe de la crise. Où trouvera-t-on le soutien matériel pour une activité très forte, nourrissante, aidant les autres pays tout autour de la Méditerranée ? Dans cette situation, nous avons vu un capitalisme financier mettre en question le capitalisme, nous avons vu un néolibéralisme remettre en cause le principe de libéralisation, un système bancaire qui bloque les banques. Nous voyons les pauvres du Nord ainsi qu’une certaine gauche anticapitaliste, qui défendent le capitalisme et les banques, pour maintenir leur travail. Ce sont des contradictions qu’on ne pouvait pas du tout imaginer il y a dix ans.

Les contradictions ne sont plus entre des systèmes opposées, elles le sont à l’intérieur des systèmes eux-mêmes. Mais existe-t-il malgré tout des facteurs de cohérence et de cohésion entre les Méditerranéens ?
Oui, au niveau de la conscience. On se rend compte qu’on ne peut pas s’en sortir isolément mais en s’aidant les uns les autres. Si j’ai salué l’idée de l’UPM, la discordance généralisée que nous connaissons du fait de la crise bloque chaque projet commun. Les pays arabes ne sont pas venus aux premières réunions de l’UPM à cause de la situation à Gaza, puis Israël n’est pas venu aux suivantes en raison de la présence de la ligue arabe. Réussir l’union ne sera pas facile.

Y a-t-il malgré tout des domaines où l’intérêt collectif peut dépasser les conflits ?
Il y en a, en effet. La première des choses serait la dépollution. Nous avons tous le même intérêt à dépolluer la Méditerranée, à lutter contre la désertification parce qu’elle produit les migrations. Une politique de l’eau est également possible, de même qu’une politique d’énergie solaire qui a d’ailleurs commencé avec un certain succès dans les pays arabes. Cela pourrait nous préparer pour les années à venir. Notre projet doit être des plus modestes au début pour qu’il puisse donner des résultats et que ces premiers résultats puissent nourrir et stimuler l’action, le projet de l’Union Pour la Méditerranée.

Voyez-vous des obstacles culturels ou cultuels à l’intégration de la Turquie dans l’Europe ?
On sait que le président Sarkozy n’est pas partisan de l’intégration. Certains ont pensé qu’il avait proposé la création de l’UPM simplement pour écarter la Turquie de la course à l’Europe. Le point de vue le France est très éloigné de celui de l’Allemagne. Mais au fonds, quelles sont les raisons pour ou contre ? Contre : nous aurions à la frontière de l’Union européenne le problème des Kurdes, de l’Iran, de l’Irak, ces foyers de conflits de la période précédente. Les raisons favorables : la Turquie peut-être un mur de protection face à ces pays où l’islamisme est agressif. La Turquie est plus laïque que les autres pays musulmans, faisant les premiers pas vers la démocratie, réussissant à bloquer ses propres fondamentalistes. Ce pays de 70 millions d’habitants pourrait servir de bouclier à l’Europe. Je considère qu’en exigeant de la Turquie qu’elle progresse sur le chemin de la démocratie, d’une véritable démocratie et non pas ce que j’appelle la « démocrature » à l’image de ce qui se passe en Russie, et si la Turquie fait cet effort, alors il n’y a pas de raison de la rejeter. L’islam Turc n’est pas dangereux.
Par Pierre Magnetto - Developpementdurablelejournal.fr- le 29 décembre 2009

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