Jordi Hereu: «Barcelone-Méditerranée va plus vite que l'UPM

Jordi Hereu, 42 ans, est le maire socialiste de la ville de Barcelone. Militant de l’intégration avec la rive sud de la Méditerranée, ses convictions sont fortes. Il en parle aux Afriques, qu’il a reçu dans l’ancien Palais royal de la Catalogne, siège de la Mairie.

Les Afriques : Barcelone va accueillir le secrétariat de l’UPM, début 2010. Nous savons qu’en votre qualité de maire vous travaillez beaucoup pour faire de votre ville une capitale de la Méditerranée. En quoi cette ambition est-elle légitime ?
Jordi Hereu : Je ne vais pas citer la naissance du processus euro-méditerranéen à Barcelone, en 1995. En fait, depuis 30 ans, nous travaillons à devenir une référence urbaine dans la zone Méditerranée. Comment ?

En rénovant tous les quartiers défavorisés d’antan, en développant un urbanisme de mixité sociale et d’intégration interculturelle. Barcelone a une tradition d’ouverture, en particulier depuis le XIIIe siècle, où l’on construisait ici les bateaux du commerce en Méditerranée.
C’est aussi, depuis de nombreuses années, une ville de rencontre et de dialogue avec la rive sud, avec sa Chambre de commerce, ses syndicats, ses organismes, comme le montre, par exemple, la tenue de la semaine méditerranéenne des leaders économiques, en ce moment. En plus d’être le siège de l’UPM, Barcelone est un agent très actif dans le développement des projets régionaux. Tout cela fait, naturellement, de Barcelone un des pôles de référence en Méditerranée, mais pas le seul. Nous croyons beaucoup à la force des réseaux. Celui des villes peut apporter beaucoup à l’intégration régionale. En plus, la dynamique avance plus vite au niveau des municipalités. A Barcelone, nous n’avons pas attendu l’arrivée de l’UPM.

LA : Vous voulez dire que la ville se met à l’heure de la Méditerranée sans attendre les financements multilatéraux ?
JH : Quant je pense à Barcelone, métropole internationale, j’ai deux tropismes en tête, l’Europe et le bassin Méditerranéen. Pour l’Europe, je travaille pour l’arrivée du TGV à Barcelone. Cela nous arrimera au nord du continent. Pour la Méditerranée, ce ne sont pas les projets qui manquent. Nous venons de lancer les travaux d’un grand pôle dédié aux institutions internationales, et particulièrement méditerranéennes, sur le site rénové du légendaire Hospital san Pau, (classé patrimoine de l’UNESCO).
Nous avons densifié les échanges avec les villes du bassin méditerranéen. L’expérience architecturale de Barcelone est recherchée. Mais, nous voulons apprendre aussi des autres. Par exemple, la ville de Barcelone est impliquée dans la réalisation d’une médiathèque à Fès. Les connaissances ont circulé dans les deux sens.

LA : Cette vision généreuse du rôle de Barcelone est très appréciée sur la rive sud, mais, en temps de crise et de repli nationaliste, vous sentez-vous soutenu par vos administrés qui sont aussi vos électeurs ?
JH : En effet, la tentation de se refermer existe et elle peut se renforcer en temps de crise. Ce serait une erreur. C’est aussi par égoïsme que je veux contribuer à développer la coopération avec le Sud. La ville de Barcelone sera plus forte, la Catalogne plus riche, si les économies du Maghreb sont plus développées.
D’ailleurs, cette vision est partagée par le conseil municipal. Nous destinons un pourcentage de notre budget à la coopération internationale, dont une bonne partie va à la région Méditerranée. J’ai défendu le maintien de ce budget, alors que la tentation était forte de le réduire à cause de la baisse des recettes fiscales, et le programme a été approuvé à l’unanimité.
La diversité que nous propose notre ancrage méditerranéen est une vraie opportunité pour construire Barcelone. Je passe beaucoup de temps à expliquer cela à mes concitoyens. Nous veillons bien, dans le même temps, à rendre la ville plus confortable pour ses habitants et pas seulement une attraction internationale.
LA : Comment abordez-vous la question de l’intégration, qui est devenue souvent le plus gros problème de vos confrères des grandes villes européennes ?
JH : Nous arrivons, à Barcelone, plus tard que les autres sur ce terrain, et donc, avec beaucoup d’humilité. J’en parle souvent avec mes collègues, en effet. Nous ne voulons pas commettre les erreurs des autres. Nous avons déjà une approche de l’urbanisme qui ne laisse pas le marché dessiner seul la ville. Nous savons où cela mène. Nous avons une proportion d’étrangers, hispaniques, maghrébins ou asiatiques dans tous les quartiers de la ville. Le mélange est l’unique solution. Nous ne voulons pas de rupture entre les communautés. Le rôle de Barcelone dans la construction de l’Union pour la Méditerranée peut d’ailleurs y contribuer. Voyons tout ce que nous pouvons espérer d’une paix entre Israël et la Palestine. Avons-nous une autre alternative que celle-là ? Maintenant, il faut lutter contre les préjugés et les clichés. J’étais la semaine dernière au Maroc et j’ai lancé un appel pour que nos voisins de la rive sud viennent défendre la réalité de leurs pays chez nous, une réalité souvent bien différente de l’image que se représente l’opinion. Une maison du Maroc va être inaugurée chez nous. Nous avons choisi le site emblématique du Montjuich pour l’accueillir. Il s’agit d’une bâtisse de la municipalité. Par contre, nous n’avons pas vocation à donner un terrain pour la construction d’une mosquée. Nous avons un Conseil municipal des religions, où toutes les religions dialoguent entre elles. Nous sommes à l’écoute des attentes. Nous sommes un pays laïc, mais nous sommes très conscients de l’importance du fait religieux. Nous veillons beaucoup à assurer l’égalité des chances par l’éducation, le logement et la santé. Pour le reste, nous avons une certaine conception de l’espace public. Il ne faut pas qu’un groupe s’impose. Il y a un code central de valeurs qui nous réunit.
Par Ihsane El Kadi, envoyé spécial LesAfriques.com - le 26 novembre 2009

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