Le Maroc de Mohammed VI, pionnier du partenariat euro-méditerranéen ?

Le 24 juillet 1999, Mohammed VI devenait roi du Maroc. Mise à part l’attention spéciale qui est toujours donnée aux chiffres ronds, occasion de procéder à des bilans, y a-t-il lieu de se pencher particulièrement sur cette dernière décennie marocaine ?
1999-2009 : une décennie décisive pour le Maroc
Tout d’abord, l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI marque un tournant dans l’histoire du pays. Il s’agit d’un changement politique tant au niveau social, qu’en ce qui concerne les libertés fondamentales, l’économie soutenue par des vagues de chantiers colossaux et la place du Maroc sur la scène internationale et notamment son positionnement face à l’Union européenne.
Si rupture il y a avec le précédent souverain, son père, c’est avant tout dans le style. On est d’abord frappé par sa discrétion. On serait bien en mal de faire référence à l’un de ses discours et pour cause : désertant fréquemment les sommets internationaux, c’est un roi que les médias entendent peu et qui ne communique pas sur ses projets, d’où le mystère planant sur la personnalité du souverain.
La nouveauté est également à chercher dans sa relation avec les Marocains et l’image dont il jouit au sein de la population. La revue Jeune Afrique va jusqu’à comparer Hassan II, son père et précédent souverain, au « père fouettard » alors que Mohammed VI serait le « père Noël ».
Mohammed VI, parfois familièrement surnommé « M6 », fait aussi figure de roi libéral et ouvert qui ne craint pas de s’attirer les foudres de certaines franges de la population comme lorsqu’il impose un nouveau code de la famille – la Moudawana – malgré les protestations des ultraconservateurs ou encore lorsqu’il met en place une commission sur les exactions et les « entorses » aux droits de l’Homme sous le règne d’Hassan II, quitte à monter contre le régime l’ancienne intelligentsia qui gravitait autour de son père.
Le roi a su « tourner la page » du règne de son père et ne pas défendre en bloc son bilan. C’est ce que l’on comprend avec le lancement de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), qui enquête et indemnise les victimes des « années de plomb », c'est-à-dire les victimes du non-respect des droits de l’homme depuis l’indépendance de 1956.
« Plus libéral », c’est aussi ainsi qu’il a été perçu lors du lancement du nouveau code de la famille de 2004, qui améliore considérablement le statut des femmes et constitue un rempart de protection contre les dérives fondamentalistes.
La lutte contre les fondamentalistes islamistes est en effet une des priorités du souverain. C’est dans cette optique que Mohammed VI a tenu à renforcer son propre statut de « commandeur des croyants » afin de limiter l’impact que pourraient avoir certains imams extrémistes, contrôlant de fait plus efficacement à la fois les préceptes religieux et les fidèles eux-mêmes.
On retient également que le roi a donné notamment au début de son règne, une certaine liberté d’expression à des groupes que son père avait lui-même muselés comme les indépendantistes sahraouis ou les républicains. Ce choix avait à l’époque été salué comme augurant un nouveau Maroc respectueux de la liberté d’expression. Moins brutal qu’Hassan II en matière de répression, le roi ne s’est pas lancé dans une « chasse aux sorcières » contre les milieux islamistes après les attentats de Casablanca, contrairement à la réaction que d’autres États arabes ont pu avoir dans des circonstances similaires.
Autre volet du changement apporté par Mohammed VI : les questions sociales. La lutte contre la pauvreté est un cheval de bataille du roi : se présentant parfois comme « le roi des pauvres », il a pour habitude de visiter les bidonvilles et a annoncé en 2005 un ambitieux plan de grands travaux destiné à réduire la misère. L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) qu’il a lancée recouvre la rénovation du système éducatif national, la réforme du système de santé et l'élargissement de la couverture médicale, l'accès au logement, la réalisation d'équipements sociaux et culturels ainsi que le développement humain.
C’est dans le caractère ostentatoire de l’expression du souci de Mohammed VI pour les plus démunis qu’il faut en partie voir la rupture : quand Hassan II affichait un certain mépris pour le peuple, Mohammed VI n’a de cesse de faire savoir qu’il se sent solidaire du sort des couches défavorisées.
Outre la défense des droits de l’Homme et la lutte contre la pauvreté, pour Mohammed VI, la modernisation du pays passe aussi par celle de l’aménagement du territoire et le roi n’hésite pas à investir dans l’électrification de l’ensemble du pays, l’amélioration des axes de communication et des réseaux de transports en communs notamment le réseau autoroutier, ainsi que dans la construction de toutes pièces du port de Tanger Med.
Des insuffisances qui handicapent encore le Maroc
La nouvelle souplesse du roi et son exigence de modernité ne masquent pas de nombreuses zones d’ombre au bilan de Mohammed VI. La question des libertés fondamentales fait grincer beaucoup de dents car ce qu’on appelle les « lignes rouges », qui constituent les « sujets tabous » comme le Sahara occidental, l’islamisme ou le statut du roi ont d’abord évolué avant de se figer et de restreindre la liberté d’expression en ce qui concerne notamment les revendications républicaines ou autonomistes.
En cette période d’anniversaire de l’accès au trône de Mohammed VI, l’image est troublante : alors que TelQuel, premier magazine marocain, et Le Monde publiaient un sondage sur la popularité du roi, les numéros ont été détruits ou bloqués à l’exportation vers le pays. Ce sondage, conduit par la filiale marocaine du CSA, était pourtant largement favorable au souverain puisque 91% des Marocains y jugeaient positif le bilan des dix premières années de règne et un habitant sur deux y considérait le régime comme démocratique.
« La monarchie ne peut être mise en équation » a tout simplement expliqué le Ministre de la Communication, Khalid Naciri, alors qu’aucune loi n’interdit les sondages.
La gestion des risques terroristes a également mené à des dérapages et des entorses sérieuses à l’État de droit : nombreuses sont les accusations qui dénoncent la transformation du royaume en centre d’interrogatoires décentralisé pour le compte de la CIA.
Plus marquant encore, la plus importante faiblesse du pays - la pauvreté - n’a pas connu de tournant avec l’arrivée de Mohammed VI : plus de 40 % de la population adulte est analphabète au Maroc et le pays reste au 126e rang (sur 177) en indice de développement humain de l’ONU. Par ailleurs, beaucoup jugent que la politique de grands projets du roi n’est pas une réponse de long terme aux questions de pauvreté et de développement.
Le nombre élevé de bidonvilles, célèbres pour leur insalubrité et le faible engagement de l’État pour ces populations malgré le « souci » du monarque pour la question, restent une véritable plaie pour le fonctionnement et l’image du pays. En outre, ce sont de ces bidonvilles que viendraient pour beaucoup les islamistes marocains recrutés par la « filiale » d’Al Qaida au Maghreb (Al Qaida au Maghreb islamique), véritable menace pour la stabilité et le développement du royaume.
Enfin, si des insuffisances dans l’efficacité de l’action du jeune souverain sont indéniables, la gestion même de l’État est par ailleurs également montrée du doigt malgré l’image de modernité dont elle jouit : Transparency International classe le Maroc à la 80e place sur 177 pays en termes de corruption.
L’écart en terme de « gouvernance » entre le règne de Mohammed VI et celui de son père est à nuancer lorsqu’il s’agit de qualifier la place qu’occupe le roi dans le processus décisionnel. Pour les analystes, le Maroc est une « monarchie exécutive », où le pouvoir est concentré entre les mains du souverain et de son entourage restreint, loin de la « démocratie » qu’un Marocain sur deux perçoit dans cette monarchie, comme l’indiquait le sondage TelQuel/ Le Monde.
L’élan pro-européen du souverain, promesse d’un renouveau ?
Sur la scène internationale, le Maroc a considérablement misé sur ses relations avec l’Union européenne. Pionnier méditerranéen du partenariat avec l’Union, candidat à l’adhésion en 1987, le pays est lié par un accord d’association à l’UE dans le cadre du Processus de Barcelone depuis 1996 (mis en œuvre en 2000) et partie prenante de la Politique européenne de Voisinage. L’excellente relation euro- marocaine ne remonte pas au Processus de Barcelone mais à l’intérêt que le Maroc manifeste dès 1963 en demandant l’ouverture de négociations pour un accord commercial. Un accord d'association est signé à Rabat le 31 mars 1969.
Si côté marocain on souligne une proximité géographique, économique et culturelle avec la rive nord et on considère l’UE comme un levier de développement considérable, côté européen, la clarté de l’engagement marocain séduit et le pays est considéré comme clef en matière d’immigration. Une communauté d’intérêts et de projets constitue donc la base de cette coopération euro-marocaine.
Aujourd’hui, de nouvelles perspectives de partenariat entre le royaume et l’UE paraissent évoluer. Le Maroc est le premier pays à s’être vu accorder le « statut avancé » dans sa relation à l’UE en octobre 2008 (la date d’entrée en vigueur n’est pas fixée) par les Ministres des Affaires étrangères des 27. « Plus qu’un voisinage, moins qu’une adhésion » résume ce statut. Concrètement, cela signifie l’organisation de sommets réguliers entre l’UE et le Maroc, la mise en place d’un espace économique commun sur le modèle de l’Espace économique européen et la participation du Maroc à des agences européennes telles qu’Europol et Eurojust ainsi qu’à des opérations de gestion de crise.
Plus largement, le statut avancé signifie une plus grande implication européenne en matière de coopération, à savoir un appui poussé aux réformes politiques de démocratisation, de modernisation du système judiciaire et de l’administration et de décentralisation. Une plus grande coopération sera établie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine ainsi que dans la politique de défense puisque l’UE envisage d’intégrer le Maroc aux réunions de la PESD et du COPS sur les questions concernant la Méditerranée.
Cependant, le plus gros bouleversement sera à attendre dans l’intégration du marché marocain au marché communautaire car cela implique une transposition marocaine des normes européennes et touche les conditions environnementales, de santé publique, de sécurité, etc et constitue un effort législatif considérable.
« Tout sauf les institutions », pour reprendre une formule de Romano Prodi, voilà ce qui attend la relation euro-marocaine et la mise en œuvre des réformes liées au statut avancé ne constituerait ni plus ni moins une refonte du système marocain, une véritable petite révolution.
C’est à Tanger, le 23 octobre 2007, que N. Sarkozy prononçait son discours qualifié d’historique sur son ambition pour la Méditerranée. Symbole fort, ce choix n’était pas un hasard car le Président savait qu’il pouvait compter sur le soutien du Maroc.
Lors du lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM) le 13 juillet 2008, mais aussi dès les premiers discours de N. Sarkozy qui traitaient en 2007 de l’Union méditerranéenne (avec le compromis de Hanovre du 3 mars 2008, l’Union méditerranéenne devint l’UPM), le Maroc a soutenu sans réserves le projet.
Le gouvernement marocain considérait en 2008 que la philosophie de l’UPM donnait tout son sens au Processus de Barcelone en tant qu’initiative évolutive. Union de projets touchant aux questions énergétiques, maritimes, environnementales, au développement des PME et aux transports, l’UPM a été reçue de manière très inégale sur la rive sud mais c’est le Maroc qui s’est dit prêt et enthousiaste à participer aux projets. Considérant sa situation géographique comme stratégique, le pays ne cache pas son intérêt pour la création des fameuses « autoroutes de la mer ».
La bonne santé des relations euro-marocaines ne peut faire oublier le désastre de la relation du Maroc avec l’Algérie. La question du Sahara occidental qui bloque la coopération entre les deux États maghrébins n’a absolument pas évolué, le Maroc revendiquant la région comme marocaine face à l’Algérie qui soutient activement l’auto-détermination sahraouie. La ligne de 1559 kilomètres qui sépare l’Algérie et le Maroc est une frontière fermée depuis 1994 après un attentat commis à Marrakech auquel participaient des Algériens. Or, ce conflit larvé entre les deux pays plombe leur économie puisque les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Algérie se font soit par la France, soit par l’Espagne. D’après la Banque mondiale, le potentiel d’exportation du Maroc vers l’Algérie est d’un milliard de dollar, soit 2% de son PIB.
Or, aujourd’hui, l’Algérie n’est que le 30e partenaire commercial du Maroc. Ce conflit compte pour beaucoup dans l’échec criant de l’Union du Maghreb arabe (UMA) ainsi que dans celui de toute initiative régionale au Maghreb. Cependant, la portée de ce « conflit de voisinage » dépasse le cadre des deux pays. Sans intégration préalable « sud-sud », est-il réaliste de chercher l’intégration « nord- sud » ? « L'Union pour la Méditerranée se fera avec ou sans l'Algérie » estimaient des proches du pouvoir marocain en 2008. Peut être, mais au prix de quelles absurdités quand on sait que les accords d’Agadir visant une zone de libre échange arabe contourne l’Algérie et ne comporte que le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie ? Minimisé par le Maroc, ce conflit constitue un obstacle évident tant pour l’UPM que pour l’UMA et pour l’intégration régionale du Maroc, condition sine qua non à son développement.
Avec un bilan nuancé, le roi n’a fait que donner quelques pistes pour les années à venir. Cependant, en s’engageant sans réserves dans la relation euro-marocaine et euro-méditerranéenne, premier État à accéder au statut avancé, le Maroc donne toutes les raisons de croire en son développement commercial, économique, social et diplomatique prochain. Et il semblerait que ce soit aux côtés de l’Union que le Maroc ait décidé d’ancrer son avenir.

Par Luce Ricard - Nouvelle-europe.eu - le 17 août 2009

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