Tourisme méditerranéen - Une sortie de crise plus difficile pour les marchés du Sud

Entretien avec Etienne Pauchant, fondateur de Mediterranean travel market
· Construire une identité méditerranéenne pour contrer l’effet boomerang
· Internationaliser davantage la zone vers les marchés lointains
- L’Economiste: En 2008, près du 1/3 des arrivées touristiques internationales sont enregistrées dans les destinations méditerranéennes. Qu’est-ce qui justifie cette tendance.
- Etienne Pauchant: C’est tout simplement la géographie. L’Europe à elle seule émet près de 50% des départs internationaux dans le monde. Les pays de la Méditerranée sont la première destination touristique de ce continent tout proche. La stabilité du nombre d’arrivées en Méditerranée est donc un effet mécanique du nombre des départs des Européens.
Ces arrivées européennes forment en quelque sorte «la base» du tourisme méditerranéen, renforcées par les arrivées nord-américaines. Viennent s’y ajouter depuis plusieurs années les «nouveaux entrants», que sont les Russes et les pays de l’Est européens (depuis 20 ans), le Brésil, le Mexique, la Chine et les pays d’Asie (depuis 10 ans). Ils viennent naturellement visiter la première région touristique du monde: la Méditerranée, mais pas encore assez, puisque la part de marché mondiale de cette région ne cesse de s’effriter.
- Qu’est-ce qui fait la particularité de cette destination ?
- Probablement un meilleur rapport qualité/prix dans les marchés du Sud, Est et Balkans et un effet de vieillissement des marchés matures du Nord. La croissance d’un marché mature, lorsqu’il s’approche de son acmé, est toujours plus faible en pourcentage que la croissance d’un marché encore jeune, en pleine conquête.
Ceci étant, vu la taille du marché européen, une légère croissance de celui-ci (ce qui pourrait arriver après la crise qui s’annonce) sera en nombre d’arrivées bien plus importante qu’une croissance plus forte dans les pays du Sud, Est, Balkans. En 2008, un point de croissance dans les destinations méditerranéennes (pays de l’UE) représente 2,2 millions de touristes supplémentaires, et seulement 0,8 million en Méditerranée non UE.
- La part de marché mondiale des 29 destinations de la région a enregistré une baisse de -0,3% à 32,46% en 2008, contre un pic de 35,35% en 2003. Qu’est-ce qui justifie cette forte variation? Quelles sont les destinations qui en ont fait les frais?
- Le pic de 2003 correspond à une année de crise pour le tourisme mondial (baisse de 1,9% des arrivées mondiales). Les Européens se sont recentrés sur les destinations les plus proches et les moins chères: la Méditerranée. Nous devrions observer un phénomène identique cette année 2009. A partir de 2004, la croissance mondiale reprend très fortement (+ 9,8%).
Les Européens découvrent les marchés lointains (et visitent moins en Méditerranée), mais cette désaffection s’aggrave, car les marchés lointains, nouvellement émetteurs, en particulier asiatiques, ne connaissent pas la Méditerranée. Ils visitent en priorité les marchés qui leur sont proches (Asie du Sud-Est), les USA ou l’Europe. La Méditerranée n’a pas fabriqué son identité sur les marchés lointains (chaque marché méditerranéen se présente séparément sur ces marchés).
Ce manque d’identité est aujourd’hui la principale explication au tassement de la part de marché mondiale de la Méditerranée. «Le berceau de la civilisation» dont s’enorgueillit d’être, à juste titre, la Méditerranée est concurrencé par le «berceau de la civilisation» chinoise. Et l’histoire de la Méditerranée n’est pas suffisamment racontée, et insuffisamment connue en Asie pour déclencher une forte envie de visiter les pays méditerranéens pendant les séquences de vacances.En 2009, les parties Sud, Est et les Balkans souffriront moins de la crise, en partie parce qu’elles reçoivent moins de vols long-courriers.
Mais c’est aussi une faiblesse pour l’après-crise, car les marchés lointains, s’ils viennent en Europe dans les destinations-phares, ils ne viennent que trop peu dans les pays du Sud, Est et Balkans. Il faut s’attendre par conséquent à une sortie de crise plus difficile pour les pays du Sud que pour les pays du Nord, qui s’appuieront sur le retour de ces clientèles pour un «recovery» plus rapide. On ne pourra contrer cet effet «boomerang» que par l’organisation de l’identité méditerranéenne, partagée, et promue ensemble et rapidement.
- Pour les perspectives 2009, la dynamique de la zone sera encore au plus au Sud notamment en Turquie, Egypte, Maroc, Tunisie…
- Ce sont des pays qui se sont plus développés que les autres, avec des investissements touristiques nombreux et variés. Il existe beaucoup de gisements en Méditerranée du Sud, de l’Est et dans les Balkans qui n’ont pas encore lancé leur développement. Lorsque celui-ci démarrera, il sera opportun d’internationaliser encore davantage la zone, vers les marchés lointains, si on veut éviter une concurrence acharnée sur les marchés proches.
- Quel avenir pour le marché de l’incentive et le tourisme d’affaires ?
- Les marchés du Sud n’ont pas suffisamment d’équipements MICE (meeting, incentive, congress et events). Ils manquent d’infrastructures (aéroports internationaux de très grande capacité, autoroutes, trains rapides, palais des congrès et hôtels de très grande taille).
Quelques marchés sont plus avancés pour le réaliser. L’autoroute projeté, reliant la Mauritanie à l’Egypte serait de nature à créer les conditions pour une forte poussée de ce marché en Afrique du Nord. Le tourisme d’affaires est lui, directement proportionnel au développement de l’activité économique de chaque marché.
- Quelle sera la tendance des investissements dans l’industrie du tourisme ?
- On le voit bien actuellement c’est vers le balnéaire que les investissements sont majoritairement tournés. Il faut faire attention à l’authenticité. Si l’on construit une superbe tour étincelante, entre le désert et la mer, sous un soleil éclatant, c’est superbe, et l’offre est authentique, comme l’est Manhattan ou le quartier de la Défense.
Mais que cette tour écrase une médina ou un site archéologique ou une vallée riche de paysages, d’une faune ou d’une flore abondante, et ce sera la disparition d’une opportunité touristique, voire un saccage qui ne trouvera pas l’appui de la clientèle, bien au contraire...

Qui est Etienne Pauchant
LE CEO de l’association Mediterranean travel market (META), dont il est fondateur et animateur, est un consultant en tourisme. Il est spécialisé dans l’expertise de l’évolution de la demande mondiale et celle de l’offre correspondante, des réseaux de distribution et de réservation. Il est également expert dans l’observation détaillée de l’économie du tourisme. Pauchant possède une solide expérience de développement d’offres hôtelières de taille importante, de définition de produits, de leur mise en œuvre et des options stratégiques envisageables.

Diversification de l’offre
- L’Economiste: Qu’est-ce qui va être le plus déterminant dans le choix de destination des touristes internationaux?
- Etienne Pauchant: Certainement l’authenticité des offres, qui est la garantie d’une diversification. La mondialisation n’est acceptable que si elle est diverse. Elle ne peut être diverse que si chaque destination travaille à son «authenticité» culturelle, festive, alimentaire, artistique, architecturale. Le professionnel du tourisme doit devenir le «gardien du site» (que celui-ci soit naturel, ou urbain, ou même fabriqué: plages, golfs) et gérer attentivement l’eau, l’énergie et les déchets.
Ce rôle de «gardien» l’oblige à préserver le site par lui-même, mais aussi la faune et la flore ainsi que le patrimoine bâti, dans un effort planétaire pour créer un «tourisme durable» dans l’identité méditerranéenne et de favoriser l’échange entre les professionnels des vacances que sont devenus les touristes et les populations locales.
C’est précisément l’objet de l’Union pour la Méditerranée, celui de regrouper les pays méditerranéens pour leur donner une identité distincte, dans un groupe plus large de 43 pays, totalisant 780 millions d’Euroméditerranéens, soit la moitié de la population chinoise.
Propos par Bachir THIAM - leconomiste.com - 10 février 2009

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