Projet de l’Union pour la Méditerranée : la vision discordante de l’Algérie

Deux visions sur la teneur du projet de l’union pour la Méditerranée se sont opposées hier au forum organisé sur le même thème à l’Unesco. Celle de Paris, expliquée par Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, et celle d’Alger, défendue par Missoum Sbih, ambassadeur d’Algérie en France.
Si le premier a utilisé le langage des chiffres et des accords, le second a choisi, plutôt, de mettre la dimension humaine au cœur du projet.
M Hortefeux, qui a reconnu l’échec de toutes les politiques d’intégration françaises, a indiqué qu’il s’apprêtait à signer des accords d’immigration avec le Maroc et la Tunisie, semblables à ceux paraphés déjà avec de nombreux pays d’Afrique noire. Mais point de discussions pour le moment avec l’Algérie qui semble manifester une certaine réticence à leur contenu (accord).

Le discours de M. Sbih était très critique vis-à-vis de la version actuelle du projet de l’union pour la Méditerranée. L’ambassadeur a dénoncé le fait que les frontières soient ouvertes aux marchandises et aux capitaux, mais pas aux personnes. « Une approche novatrice impliquerait de ne pas parler désormais de ‘‘maîtrise concertée de flux migratoires’’, mais de la dimension humaine des rapports entre l’Europe et les pays du Sud ; dimension qui doit être au cœur même de la problématique de l’union pour la Méditerranée », a-t-il d’emblée expliqué dans son intervention. Et de poursuivre : « On ne peut pas, comme le faisait le processus de Barcelone, continuer à prôner la libre circulation des biens, des capitaux et des services, et en même temps, multiplier les restrictions, donnant ainsi aux populations impliquées le sentiment d’être exclues d’un processus qui les concerne au premier chef. » Critiquant le « glissement sémantique » qu’a subi le projet pour l’union de la Méditerranée, le représentant officiel algérien a qualifié de « vague » la notion de codéveloppement contenue dans le projet de l’union pour la Méditerranée et sujette à toutes les instrumentalisations politiques. Il a plaidé pour la mise en place d’un « Schengen méditerranéen » et d’une préférence « euroméditerranéenne » à la place de la préférence « communautaire ».

Le point de vue algérien a été conforté par Sijil Massi, ambassadeur du Maroc en France, qui a abondé dans le même sens. M. Massi a averti que « limiter le débat sur l’immigration clandestine peut s’avérer dangereux ». Tout en reconnaissant l’échec de tous les processus euroméditerranéens mis en place pendant trente années, le représentant du Maroc a proposé la création d’un observatoire des populations euromaghrébines pour peaufiner les analyses et construire un discours commun entre les deux rives. « Je ne peux plus parler de flux migratoires, a-t-il dit. Je suis obligé de m’intéresser aux flux humains. Il (le flux) existe, c’est une réalité sociologique qui doit être la base de départ. »

Idem aussi pour l’historien Benjamin Stora qui, tout en saluant le nouveau « coup de barre » de l’Europe vers sa rive sud, a remarqué que les Etats sont en retard sur l’évolution historique de la Méditerranée. « Des millions de personnes se sont déjà fabriquées cet espace de Méditerranée, mais il y a une absence totale de sa traduction sur le plan politique. » Concernant spécifiquement l’Algérie, l’historien a souhaité que cette inflexion en direction du Sud puisse permettre d’être une nouvelle occasion pour surmonter les blessures de l’histoire… Pour rappel, deux jours entiers sont consacrés au thème de l’union pour la Méditerranée.

Plusieurs questions seront débattues avec d’éminents spécialistes et hommes politiques de premier plan. On peut évoquer, entre autres, « Les enjeux de l’union pour la Méditerranée » par Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français, « La sécurité en Méditerranée », « La Méditerranée, un enjeu stratégique » avec Michel Barnier, ministre français de l’Agriculture et de la Pêche, « L’Etat de droit en Méditerranée » avec Mohamed Arkoun, philosophe et professeur d’université, mais aussi « Quelle institution pour quelle union » présentée par Alain Le Roy, ambassadeur chargé du projet de l’union pour la Méditerranée, et tant d’autres problématiques.
Yacine Farah - El Watan.30 mars 2008

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