Union pour la Méditerranée : où en est-on ?

Treize années se seront écoulées, étayées d’espoirs, d’échecs et d’hésitations. Le projet de rapprochement des deux rives de la Méditerranée, formellement mis sur pied en 1995 sous le nom d’Euromed avec le processus de Barcelone, a franchi une nouvelle étape, le jeudi 13 mars 2008. Le Conseil Européen a adopté un projet d’Union pour la Méditerranée dont il est cependant difficile de cerner les contours : s’agit-il toujours de l’Union mise en avant par le Président Sarkozy, dessinée lors de son discours de Toulon de février 2007 alors qu’il n’était que candidat à la Présidence de la République, ou d’un simple « Euromed + », compromis entre les 27 Etats membres de l’Union Européenne ?

Le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 aura donc adopté à l’unanimité le projet d’Union pour la Méditerranée. Les conclusions de la Présidence slovène de l’Union européenne à ce propos sont laconiques :

« Le Conseil européen a approuvé le principe d’une Union pour la Méditerranée qui englobera les États membres de l’UE et les États riverains de la Méditerranée qui ne sont pas membres de l’UE. Il a invité la Commission à présenter au Conseil les propositions nécessaires pour définir les modalités de ce que l’on appellera “Le processus de Barcelone : une Union pour la Méditerranée”, en vue du sommet qui se tiendra à Paris le 13 juillet 2008. »A lire cette déclaration, il s’agirait d’une simple relance du processus de Barcelone. En revanche, selon les déclarations du président Sarkozy au sortir de la réunion des chefs d’Etats et de gouvernements, il s’agirait d’une victoire des vues françaises : « C’est la troisième initiative française, après le traité simplifié, après le groupe des Sages, qui rassemble un très large consensus en Europe. C’est une très bonne nouvelle ».

On est pourtant bien loin de l’Union Méditerranéenne telle que voulue et conçue à l’origine par Nicolas Sarkozy et poussée par son conseiller Henri Guaino depuis son accession à la Présidence de la République. Ambigües, hâtives, exclusives, critiquées, les ambitions initiales de la France étaient en effet très différentes de l’arrangement finalement adopté par les 27 Etats membres, reprenant le compromis franco-allemand intervenu le 3 mars à Hanovre, lors d’une rencontre entre le Président français et Angela Merkel. Retour sur une ambition contrariée.

L’esprit de relance
Lancé en 1995, le processus de Barcelone se voulait déjà ambitieux : instrument phare de la coopération entre les pays de l’Union européenne et 12 États du Sud et de l’Est de la Méditerranée, il prévoyait notamment la mise en place d’une zone de libre échange à l’horizon 2010 et toute une série de coopérations en matière économique et sociale, culturelle et de sécurité. Incertain depuis l’origine, disposant de moyens financiers limités, son faible élan aura été stoppé net en 2005, plombé par le rayonnement du conflit israélo-palestinien dont il n’avait su se détacher.Porté par le même esprit de relance qui l’avait conduit à proposer à l’Union européenne un traité simplifié qui deviendra le traité de Lisbonne, emmené par l’esprit conquérant de son conseiller Henri Guaino sur le front d’une diplomatie offensive, Nicolas Sarkozy avait annoncé un nouvel âge prometteur des relations euro-méditerranéennes. Alors candidat à l’élection présidentielle, il lança les bases, lors de son discours de Toulon, d’une « Union Méditerranéenne » portée par la France, qu’il précisera par la suite dans ses habits de Président, à Tanger en octobre 2007. Nommé pour l’occasion, un « sherpa » français, ayant un statut d’ambassadeur, est de son côté chargé de porter le projet, en la personne d’Alain le Roy. Puis à Rome en décembre, le projet se précise encore. Cet « appel de Rome », élaboré conjointement avec Romano Prodi et José Luis Zapatero, annonçait un agenda : une réunion des pays du pourtour méditerranéen le 13 juillet 2008, suivie d’une rencontre des chefs d’État et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée avec les pays de l’UE le 14 juillet 2008 à Paris.

Le projet français initial invitait les seuls Etats riverains à créer « une union politique, économique, et culturelle fondée sur le principe d’égalité stricte entre les nations d’une même mer ». « Dans l’esprit de la France, l’Union de la Méditerranée ne se confondra pas avec le processus » de Barcelone, avait ajouté Nicolas Sarkozy.

Aux côtés de l’Elysée, de nombreux groupes de réflexion, think tank français, ainsi que l’Assemblée Nationale s’étaient employés à en dessiner les contours depuis l’été 2007 : la nouvelle Union était conçue comme un club exclusif, impliquant uniquement les pays méditerranéens de l’UE (soit le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, Chypre et la France du côté européen) et ses voisins , articulée autour d’un « G-Med » ou « Conseil de la Méditerranée » : « L’union de la Méditerranée pourrait s’organiser autour d’une rencontre périodique de ses chefs d’Etats et de gouvernements comme les grands pays industrialisés ont leur G8. Elle aurait un « Conseil de la Méditerranée » comme l’Europe a le Conseil de l’Europe » (discours de Toulon du 2 février 2007).

Une Union à côté de l’Union européenne et à cheval sur celle-ci donc, dotée d’institutions et de mécanismes propres. Un rapport de l’Assemblée Nationale avançait même l’idée d’une « Agence de la Méditerranée », sur le modèle de la Commission européenne, ou encore la création d’une « Banque Euro-méditerranéenne d’investissement » autonome, issue de la FEMIP, branche Méditerranéenne de La Banque Européenne d’Investissement (BEI), acteur majeur du volet financier du processus de Barcelone. Le projet était aussi ambigu. Ainsi, concernant la Turquie, la question de savoir s’il s’agissait d’une alternative à l’élargissement n’était pas réellement tranchée.

Un grain de sable dans le moteur
Il n’en fallait pas plus pour provoquer les foudres de nombreux partenaires européens de la France, au premier rang desquels l’Allemagne, cette future union supplémentaire étant une source sûre de division au sein des 27. Et, avant tout, une entorse à la dynamique originelle de la construction européenne, qui repose sur le moteur franco-allemand.

Contrariée, Angela Merkel n’avait cessé, depuis l’automne 2007, de mettre en garde la France, alors que la presse d’outre-Rhin égratignait Nicolas Sarkozy et son conseiller Henri Guaino : « Il se pourrait que l’Allemagne se sente, pour ainsi dire, plus concernée par l’Europe centrale et orientale, et la France plus attirée du côté de l’Union méditerranéenne. Ceci pourrait alors libérer des puissances explosives dans l’Union européenne et cela je ne le souhaite pas », avait-elle déclaré lors d’une conférence à Berlin le 5 décembre 2007. « Je crois qu’il faudrait faire une offre en la matière à tous les autres Etats européens (…) Si tous les pays ne souhaitent pas participer, il est possible de le réaliser par le biais d’une coopération renforcée. Mais la région de la Méditerranée est notre mission à tous en Europe », recentrant le débat sur l’Union européenne le lendemain, lors d’un déplacement à Paris.

Ainsi, pour Angela Merkel, le projet d’Union Méditerranéenne originel aurait conduit à créer une nouvelle « frontière qui passerait entre l’Allemagne et la France » et qui départagerait « les pays tournés vers l’Est et ceux tournés vers le Sud ». Contraint au rapprochement, le Président Sarkozy, lors de la convention de l’UMP consacrée à l’Europe à la fin janvier 2008 lui répondit que « même si l’Allemagne n’est pas riveraine de la Méditerranée, ce qui ne m’avait pas échappé, lorsqu’on ne maîtrise pas les flux migratoires dans cette zone, cela concerne l’Allemagne comme les autres démocraties européennes ».

Glissement sémantique
Changement de ton, apaisement, puis compromis, symbolisé par le glissement sémantique d’une « Union Méditerranéenne » à une « Union pour la Méditerranée ». Le 3 mars, à Hanovre, la France est donc revenue officiellement sur sa proposition. Le compromis franco-allemand, adopté 10 jours plus tard par le Conseil européen prévoit ainsi une poursuite du processus de Barcelone sous cette nouvelle appellation :

  • 39 pays sont impliqués : les 27 Etats membres de l’UE et 12 Etats du sud et de l’est de la méditerranée, actuellement parties au processus de Barcelone. La Turquie réserve pour l’instant son avis, bien qu’elle ait été rassurée par l’appel de Rome, qui précise que ce projet n’interférerait pas avec son processus d’adhésion. Le Liban et la Syrie ne se sont pas encore prononcés.
  • La future union s’articulera autour de projets concrets avec une priorité donnée à la coopération environnementale et scientifique : lutte contre le changement climatique, dépollution de la Méditerranée, agroalimentaire, énergie solaire. Un autre grand volet sera consacré à l’éducation et à la culture.
  • Le financement des projets émanant de cette Union sera basé exclusivement sur les fonds alloués dans le cadre du processus de Barcelone, complétés par des financements issus du secteur privé, le Président français espérant obtenir ainsi jusqu’à 14 milliards d’euros supplémentaires.
  • L’Union sera coordonnée par deux directeurs en provenance d’un Etat membre de l’UE et d’un autre pays non européen de la Méditerranée. Nommés pour deux ans, ils seront à la tête d’un secrétariat léger de 20 personnes, et seront établis dans une ville du sud de l’Europe, qui pourrait être Barcelone ou Marseille.
  • Le compromis prévoit par ailleurs des sommets bi-annuels, présidés à parité par un pays européen riverain de la Méditerranée et par un pays de la rive sud.
  • La Commission européenne, dans l’esprit du processus de Barcelone, gardera une place centrale puisqu’elle sera chargée de préparer les détails du projet en vue du sommet du 13 juillet.

Parcours d’obstacles
Bien que sur le plan budgétaire, les perspectives sont encore floues, le budget alloué au processus de Barcelone étant actuellement très peu ambitieux, il reste, maintenant que les principales divisions au sein de l’UE se sont apaisées et qu’un compromis a été trouvé, à mettre d’accord les pays du sud. L’Union pour la Méditerranée ne devra pas en effet apparaître, comme tant d’autres initiatives par le passé, comme un projet des Européens pour les pays du sud, mais comme un projet commun, d’égal à égal. Il restera également à surmonter les divisions, nombreuses, qui minent les relations entre certains pays du sud, au premier rang desquels l’Algérie et le Maroc, dont les tensions nées de la question du Sahara occidental ne sont pas apaisées. Il restera aussi à dépasser les tensions cristallisées autour du conflit israélo-palestinien, le destin de l’Union pour la Méditerranée ne pouvant être lié à un conflit à l’issue aussi incertaine. Il restera à imposer des limites à cette union, à trancher notamment la question de l’association du Liban et de la Syrie, qui pourrait être fatale au projet.

Les échecs, tant du processus de Barcelone que de l’Union Méditerranéenne devront servir de leçon. Rendez-vous est donc pris pour le 13 juillet 2008.

Forum de Paris -le jeudi 20 mars 2008 - Par Mathieu Collet, Président-fondateur d’Euros du Village

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