Mobiliser autour du projet d'Union pour la Méditerranée

Nicolas Sarkozy défendait hier soir son projet d'Union pour la Méditerranée lors du sommet européen. Il poursuit ainsi au pas de charge la promotion et la mobilisation en faveur de son projet, qui apparaît comme un des grands objectifs de politique étrangère du quinquennat. Un projet qu'il définissait ainsi en octobre dernier à Tanger : « Un rêve de paix et de justice et non pas de conquête... un grand rêve de civilisation... un grand rêve capable de soulever le monde. »

Mais bien des écueils restent à franchir pour que ce rêve se transforme en réalité. C'est ce qui ressortait des débats tenus à Marseille à l'occasion de la conférence internationale de l'Institut Aspen qui réunissait une cinquantaine de dirigeants et d'acteurs du monde économique, politique, universitaire et culturel des deux rives de la Méditerranée. Si la quasi-totalité d'entre eux s'est prononcée en faveur d'un ensemble méditerranéen plus et mieux intégré - « L'avenir de l'Europe se joue au sud, sur ce plan Sarkozy a raison », affirme un responsable politique espagnol -, plusieurs voix se sont élevées pour mettre en garde contre un processus institutionnel dépourvu d'adhésion populaire. Un diplomate marocain affirme qu'au lieu de nommer des sherpas pour mettre en oeuvre le projet, il serait plus utile de susciter le soutien et la participation des Parlements nationaux, d'encourager la création d'un forum conjoint des chefs d'entreprise ou la mise en place d'un Erasmus méditerranéen.

L'esprit visionnaire du traité Ceca et des premières étapes du traité de Rome peut fournir un modèle : « Qu'est-ce qui sera le charbon et l'acier de l'Union pour la Méditerranée ? », s'interroge un haut dirigeant d'une institution européenne, insistant sur la nécessité de concentrer les efforts sur quatre à cinq projets concrets qui résonneront pour les opinions publiques. Les propositions abondent : secteur bancaire et financier intégré, coopération urbaine, infrastructures permettant à la Méditerranée de retrouver la fonction de « carrefour » telle que l'avait définie Braudel, protection et valorisation de la mer... Sans oublier la dimension politique du projet et les obstacles interculturels : au cours des dernières années, la Méditerranée s'est plus caractérisée par la montée des ressentiments, de murs psychologiques que par l'émergence d'un système ouvert.
« L'Europe doit avant tout valoriser l'attrait et les bénéfices de son «soft power», en contraste avec le radicalisme des va-t-en-guerre », recommande une universitaire marocaine. Et il y a nécessité d'aller vite : il y a aujourd'hui 20.000 Chinois à Alger, qui réalisent 14 des 16 barrages en construction et le chantier d'autoroute entre la Tunisie et le Maroc !

Les options sont nombreuses. D'où la nécessité d'identifier les priorités qui entraîneront le soutien des populations. Ici encore la transposition avec le processus communautaire peut s'avérer utile : à l'instar du Comité d'action pour les Etats-Unis d'Europe créé par Jean Monnet en janvier 1956, les promoteurs de l'Union pour la Méditerranée seraient bien avisés de mettre en place un processus ouvert et inclusif, reflétant la diversité des points de vue et dégageant un consensus pour l'action.

Mais la priorité pour l'Union pour la Méditerranée est de favoriser l'émergence d'un leadership éclairé, de combler la fracture grandissante entre les élites et les sans-voix. Des leaders formés aux bienfaits de la citoyenneté, de l'ouverture internationale, ayant mené une réflexion sur les valeurs. Des dirigeants qui aient le courage et la volonté de mener le peuple, de favoriser le partage des responsabilités, d'investir dans la jeunesse, les femmes. De permettre à tous, au-delà de leur communauté, au-delà des frontières de leur pays, de s'exprimer, de se reconnaître, et de créer une identité partagée. Sans quoi tous les efforts menés seront vains.

Assurément, le projet d'Union pour la Méditerranée voit juste et loin. Le véritable enjeu est de parvenir autour de grands thèmes mobilisateurs à créer ce bouillonnement, cette mobilisation des acteurs économiques, culturels, associatifs qui se reconnaîtront et voudront aller ensemble vers une véritable Union.
Journal les Echos - Idées & débats - 14.03.2008
JEAN-CHRISTOPHE BAS est vice-président de l'Institut Aspen. JEAN-MICHEL DEBRAT est directeur général adjoint de l'Agence française de développement. FATHÏA BENNIS est présidente de Maroclear.

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