Méditerranée : retour aux sources

La civilisation européenne est née de la Méditerranée. L'écrivain Paul Valéry définissait les Européens comme les héritiers de trois grandes cultures du monde antique - grecque, romaine et chrétienne - dont chacune appartenait à l'espace méditerranéen. Celui-ci fut donc, si Paul Valéry a raison, le berceau de l'esprit européen. Des côtes espagnoles aux rivages chypriotes, le versant sud de l'Union européenne suit aujourd'hui les contours de celle qu'on appelle dans certaines langues la "mer du milieu" et dans d'autres la "mer blanche".
Les peuples ont appris, au fil des siècles, à l'apprivoiser pour établir des liens entre eux, en dépit de leurs différences. "La Méditerranée est un mécanisme qui tend à associer les pays situés au bord de son immensité", affirme l'historien Fernand Braudel dans ses Mémoires de la Méditerranée (éd. de Fallois, 1998).
L'Empire romain, qui fut la matrice de l'Europe médiévale, était organisé autour de la Méditerranée, qui mettait en relation ses diverses provinces. Mais, paradoxalement, c'est en se détournant de la Méditerranée que les Européens ont affirmé leur désir d'unité.
Face à l'avancée de l'islam de l'autre côté de la "mer du milieu", celle-ci a cessé d'être un lieu de passage et d'échange pour devenir une frontière entre les deux rives. "L'implantation de l'islam au sud de la Méditerranée va isoler l'Europe et la refermer sur elle-même", rappelle Edgar Morin dans son essai Penser l'Europe (Gallimard, 1987). L'Europe, unie autour du christianisme, naîtra d'une rupture avec l'autre bord. La relance d'un partenariat euroméditerranéen, baptisé désormais, à l'initiative de Nicolas Sarkozy, Union pour la Méditerranée, apparaît donc comme un retour aux sources.
L'histoire de la Méditerranée a vu alterner des périodes de relative tranquillité, qui ont permis l'essor du commerce, et des périodes de guerre, qui ont creusé les fractures. M. Sarkozy a souligné avec raison, dans son discours de Tanger, en octobre 2007, que le monde méditerranéen n'a pas cessé, depuis des siècles, d'être "écartelé" entre "l'esprit des croisades" et "l'esprit du dialogue".
Aujourd'hui, les divisions, voire les haines, l'emportent sur les solidarités. Le "choc des civilisations" menace le rapprochement entre le Nord et le Sud. Le Sud lui-même est déchiré. Le conflit israélo-palestinien est l'expression exacerbée de ces discordes, dont la persistance a fait échouer les précédents efforts de coopération.
Les Vingt-Sept vont tenter d'inverser la tendance et de redonner vie à l'ancienne communauté euroméditerranéenne. "En Méditerranée se décidera de savoir si oui ou non le Nord et le Sud vont s'affronter", a déclaré M. Sarkozy à Tanger. L'Europe a refusé l'affrontement en appelant à l'union entre les deux rives. Les dirigeants de l'UE ont écarté du projet français ce qui paraissait de nature à diviser les Européens en donnant à Paris un rôle prééminent. Ils en ont retenu l'essentiel, c'est-à-dire la volonté de recréer sur le pourtour de la Méditerranée un espace politique commun.
Reste à définir les moyens de passer des paroles aux actes afin que le partenariat euroméditerranéen, lancé pour la première fois en 1995 par le "processus de Barcelone", se traduise enfin par des résultats concrets. Les difficultés ne manquent pas de part et d'autre. Du côté européen, l'ouverture vers les pays du Sud ne doit pas se réaliser au détriment des pays de l'Est, comme l'a fait craindre à plusieurs Etats membres la première version du projet français.
De l'autre côté de la Méditerranée, rien ne sera possible tant que la question palestinienne n'aura pas trouvé un commencement de réponse. Le processus de paix au Proche-Orient devrait être la priorité des priorités pour la diplomatie européenne.
Thomas Ferenczi - Le Monde - le 20.03.2008

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